Entretien avec Guy Delbes, représentant de Qatar Investment Authority (QIA) en France.

vendredi, 27 juin 2014 12:40

Sans titre 21/ Bonjour Monsieur Delbès, vous vous occupez des investissements du QIA, le fonds souverain du Qatar, en France. Pouvez-vous nous dire quelles sont les intentions qui l’animent? En outre, quels sont les principaux domaines et secteurs visés?

Tout d’abord, le Qatar Investment Authority (QIA) est le fonds d'investissement souverain de l’émirat du Qatar, fondé en 2005. Contrairement à ce que certains médias ont laissé entendre, QIA appartient totalement à l’Etat et la famille régnante n’y possède aucune part.

C’était là, la volonté de l’émir au moment de sa création. Il s’agit donc d’un jeune fonds souverain dont les réserves sont largement inférieures à celles détenues par la Norvège ou les Emirats arabes unis, de l’ordre de 130 milliards de dollars. Mais ce fonds est appelé à grandir rapidement grâce aux montants qu’il reçoit chaque année provenant des revenus générés par les exportations de gaz.

A l’instar des autres fonds souverains de la péninsule arabique, c’est la notion de rentabilité qui domine dans le choix des investissements du Qatar Investment Authority dont l’objectif est de diversifier les ressources du pays et de générer des revenus qui permettront d’assurer le fonctionnement de l’Etat lorsque les ressources énergétiques seront taries. C’est dans cette optique que le QIA a lancé un programme d’investissement de par le monde et qui touche les cinq continents.

Il faut savoir que la stratégie d’investissement du Qatar en France, ne diffère en rien de celle appliquée dans les autres pays. Elle est basée sur les revenus qui peuvent être dégagés de ces placements, soit un retour significatif sur investissement.

Les investissements du Qatar Investment Authority en France, ont concerné trois secteurs :

Vous avez d’abord, des entreprises qui portent sur des activités diverses. A ce jour, on compte des prises de participation dans huit sociétés telles que Vinci, Veolia, Total, Lagardère, Vivendi, France Telecom, Suez environnement et LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy).

De plus, le fonds souverain peut apporter une aide significative aux sociétés dans lesquelles il a pris des participations. Ainsi pour Vinci qui à travers sa Joint-Venture avec Qatari Diar a obtenu plusieurs contrats d’importance, l’un à Paris pour la transformation du Centre de Conférences Internationales de l’avenue Kleber, anciennement hôtel Majestic, et qui va retrouver sa fonction première avec l’hôtel Péninsula, d’autres au Qatar et tout récemment le métro de Doha pour un montant de 1.5 milliards de dollars. Je tiens à souligner que les prises de participation dans des sociétés françaises restent toujours au-dessous de la minorité de contrôle et les dirigeants du fonds souverain n’ont jamais eu l’intention d’interférer dans leur bon fonctionnement ou dans leur mode de gestion, mais sont disposés à apporter une aide susceptible d’améliorer les résultats financiers comme ce fût le cas pour Vinci.

Ensuite, vous avez le secteur hôtelier via une filiale du Qatar Investment Authority, Qatara Hospitality, est aujourd’hui en charge de ce secteur d’activité et regroupe tous les investissements dans l’hôtellerie effectués avant sa création. Trois hôtels à Paris appartiennent au fonds souverain : Le Royal Monceau, Le Peninsula qui doit ouvrir prochainement et Le Buddha Bar Hôtel.

Enfin, le dernier secteur est ce lui de l’immobilier : quatre ensembles immobiliers seulement sont la propriété du fonds souverain. Outre la notion de rentabilité, celle de la situation du bien est également prise en compte pour cette catégorie d’investissement. Les ensembles immobiliers acquis par Qatar Holding sont tous situés dans les beaux quartiers de Paris, tels que les Champs-Elysées.

Comme vous pouvez le constater, on est loin des nombreuses acquisitions imputées à Qatar

Investment Authority et qui, en réalité appartiennent à des sociétés détenues par des privés.

2/ Parmi les pays européens, à quel niveau se situe les investissements qataris dans l'Hexagone? De plus, les médias ont énormément parlé de l’avenant à la convention fiscale qui exonère  les investissements qataris d’impôts sur les plus-values? N’y a-t- il pas là du favoritisme?

Pour ce qui concerne l’Europe, le montant des investissements en France ne figure qu’en quatrième position après celui de l’Allemagne, de la Suisse et de la Grande-Bretagne.Comme vous le savez les investissements du fonds souverain en France n’ont rien d’exceptionnel et ses dirigeants ont toujours mis un point d’honneur à ne prendre aucune initiative susceptible d’indisposer les pouvoirs publics, toujours au courant des prises de participation dans les sociétés du CAC 40. Aussi les slogans de certains médias tels que « Le Qatar achète la France » sont ridicules et tout à fait en dehors de la réalité. Car il y a confusion entre les acquisitions de l’Etat et celle de ses riches ressortissants. En France, contrairement à d’autres pays, il n’existe aucune restriction en ce qui concerne les achats effectués par des étrangers aussi bien dans le secteur immobilier qu’hôtelier. C’est ainsi que des châteaux, des hôtels particuliers, des immeubles de prestige et des hôtels de luxe ont été acquis par des personnes privées soit directement soit au travers de sociétés qu’elles possèdent.

A propos de la convention fiscale, des responsables du ministère qatari des finances, qui s’étaient rendu compte que la convention signée avec la France en vue d’éviter les doubles impositions le 4 décembre 1990 était par certaines clauses, nettement moins avantageuse que celle octroyée au Koweït et à l’Arabie Saoudite. Ils avaient donc entrepris des démarches officielles pour qu’un avenant soit joint à ladite convention. Ce qui fut accordé après de laborieuses négociations. Un avenant fut signé par les deux gouvernements le 14 janvier 2008 dont le texte est entré en vigueur le 23 avril 2009.

Il s’agissait pour le Qatar d’obtenir des avantages identiques à ceux accordés à ses voisins. Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, il n’y a eu aucun avantage particulier accordé aux seuls citoyens qataris mais une simple mise à jour qui met la convention fiscale signée avec ce pays sur un pied d’égalité avec d’autres conventions fiscales.

3/ Une dernière question, lors de la campagne présidentielle de 2012, une affaire avait provoqué un tollé politico-médiatique, à savoir, la création d’un fonds d’aide destiné aux banlieues. On avait également accusé le Qatar de vouloir islamiser les quartiers populaires. Qu’en était-il au juste?

Un petit rappel des faits s’impose. En 2011, une délégation composée de dix élus des banlieues représentant toutes les tendances politiques, dirigée par monsieur Kamel Hamza conseiller municipal UMP de la Courneuve et président de l’ANELD (l’Association Nationale des Elus de la Diversité) avait émis le souhait de se rendre au Qatar pour rencontrer les autorités de l’émirat. Leur objectif: obtenir des fonds en faveur de sociétés d’avenir qui n’arrivent pas à se développer car les banques refusent de leur accorder le moindre crédit depuis la crise financière.

A cet effet, le Qatar Holding, moteur du fonds souverain, débloque 50 millions d’euros pour répondre à la promesse faite de l’émir à la délégation. Organisée par l’ambassadeur du Qatar en France, une réunion avec les élus de l’ANELD qui s’étaient rendus à Doha a eu lieu à l’hôtel Royal Monceau. Il s’agissait d’expliquer de quelle manière le Qatar Holding allait intervenir. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que c’est moi-même qui ai décrit aux représentants de l’ANELD les modalités selon lesquelles ces opérations allaient se dérouler. Il devait s’agir comme l’émir l’avait précisé de sociétés porteuses de projets innovants sérieux et d’avenir. Chaque société concernée devait dans un premier temps présenter une étude détaillée sur sa situation et ses perspectives d’avenir. Il appartiendrait alors à Qatar Holding de décider de l’opportunité de rentrer dans le capital de la firme. Il ne s’agissait donc ni d’un don ni d’un prêt mais d’une simple prise de participation. Immédiatement, nous avons assisté à un concert de critiques déclenché en pleine campagne présidentielle par des personnalités politiques et des médias prétendant que le Qatar voulait islamiser les quartiers populaires des grandes villes. Ce qui était totalement faux ! « Il n’a jamais été question de construire des mosquées et des écoles coraniques » a toujours déclaré le président de l’ANELD.

Après ce tohu-bohu médiatique et à la demande des pouvoirs publics ce projet a été gelé pour renaître sous une nouvelle entité après l’élection du nouveau Président de la République. Le projet initial a été complètement reconfiguré. Un fonds Franco-Qatarien de 300 millions géré par la Caisse des Dépôts et Consignations dont 150 millions fournis par Qatar Holding a été institué. Ce fonds n’est plus limité aux banlieues défavorisées mais va concerner également les territoires déshérités, les zones rurales, les régions et les PME. A la suite de quoi les responsables de l’ANELD ne cachent pas leur déception.

Laissez un commentaire