Entretien avec Olivier Da Lage, rédacteur en chef à RFI, sur "l'accord de Riyad"

mercredi, 26 novembre 2014 18:46
ODL photo1/ Le récent accord de Riyad qui a permis le retour des ambassadeurs des Émirats arabes unis, de l’Arabie Saoudite et du Bahreïn au Qatar semble sceller une forme de réconciliation entre les Etats rivaux du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Comment percevez-vous cet événement : réelle décrispation ou détente en trompe-l’œil ?
 
Ni l’un ni l’autre. On ne peut pas parler de décrispation car les causes de la tension sont toujours là : la politique étrangère du Qatar qui diffère sérieusement de celle de l’Arabie Saoudite, des Émirats et du Bahreïn, sans parler des frictions épidermiques entre les souverains de ces monarchies. Mais la volonté de mettre fin à la crise est réelle car une crise durable entre les régimes alliés au sein du Conseil de coopération du Golfe aurait été catastrophique pour tous.
 C’est particulièrement vrai si l’on considère les facteurs de tension régionale actuels, à savoir la crise du nucléaire iranien et surtout, le défi que représente l’État islamique. C’est pourquoi la médiation de l’émir du Koweït a abouti dès la fin août à des signes de détente, qui se sont notamment matérialisés en septembre par le départ de Doha de sept dirigeants des Frères musulmans égyptiens. Le sommet surprise qui s’est tenu à Ryad le 16 novembre a permis d’entériner la fin du conflit avec pour résultat immédiat le renvoi à Doha des ambassadeurs que l’Arabie, le Bahreïn et les Émirats arabes unis avaient retiré en mars et le maintien à Doha du sommet du CCG des 9 et 10 décembre qui, faute d’accord, aurait été boycotté par la moitié de ses membres. Cependant, selon un responsable koweïtien, toutes les divergences n’ont pas disparu et les points de friction restants seront abordés lors du sommet de décembre.
 
Le balancier est donc revenu au centre car la situation ne pouvait perdurer, mais si chacun fait un geste (surtout le Qatar qui n’était pas en position de force), rien n’est réglé sur le fond, comme on le verra sûrement dans les mois qui viennent.
 
2/ Les Émirats arabes unis ont listé plus de 80 organisations « terroristes » dont certaines associations de musulmans d’Occident. Comment comprendre ce geste qui est de nature à jeter de l’huile sur le feu à l’heure où l’apaisement est plutôt à l’ordre du jour ?
 
Les Émirats arabes unis sont en pointe dans la lutte contre les Frères musulmans et les organisations qui leur sont proches. Depuis 2011, les EAU mènent une lutte sans merci contre ceux que la police soupçonne d’être affiliés à la confrérie. Des universitaires, des journalistes, des fonctionnaires ont perdu leur travail et/ou ont été emprisonnés. La décision de publier cette liste montre que les EAU n’ont rien cédé sur le fond et sont toujours aussi décidés à lutter contre les Frères musulmans, perçus par les autorités comme une menace existentielle contre leur régime. Cette intransigeance va bien au-delà des positions pourtant hostiles à la confrérie de l’Arabie Saoudite.
 
Quant au Koweït et au Bahreïn, ils ont une attitude ambiguë à l’égard de cette mouvance. Il s’agit donc bien d’une spécificité des EAU. C’est d’autant plus frappant que dans sa courte histoire, la Fédération des Émirats arabes unis s’était rarement signalée par des positions belliqueuses, que ce soit contre l’Iran ou l’Irak, et a fortiori, en se singularisant des positions saoudiennes…
 
3/ La question des journalistes d’Al Jazeera emprisonnés en Égypte reste l’une des pierres d’achoppement entre l’émirat et le régime du maréchal Sissi. Pensez-vous que suite à la requête du roi saoudien, la crise entre Doha et Le Caire va réellement prendre fin ? Peut-on envisager prochainement une libération des journalistes ?
 
Le président égyptien Al Sissi a déclaré le 20 novembre à France 24, à la veille de sa tournée européenne, qu’il envisageait de gracier les journalistes d’Aljazeera condamnés à de lourdes peines de prison pour « diffusion de fausses nouvelles » et soutien aux Frères musulmans.
 
Le fait qu’au lendemain du sommet de Ryad, le roi Abdallah d’Arabie ait personnellement téléphoné au maréchal Sissi pour lui demander de normaliser ses relations avec le Qatar n’y est sûrement pas étranger : l’Égypte n’a rien à refuser au royaume saoudien qui la maintient sous perfusion depuis le renversement du président Morsi.
 
L’éventualité d’une grâce doit sans doute aussi beaucoup au changement de ligne éditoriale de la chaîne satellitaire qatarienne destinée aux Égyptiens, Aljazeera Mubasher Misr, qui, après avoir soutenu sans réserve les Frères musulmans égyptiens, s’est soudainement mise à parler d’Abdelfattah Al Sissi comme du « président élu » de l’Égypte alors qu’il était précédemment présenté comme un usurpateur.

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