Qatar : passation de pouvoir aux dimensions régionales

mercredi, 26 juin 2013 02:00

Mardi 25 juin, l’émir du Qatar a annoncé la transmission du pouvoir au prince héritier, Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, lors d’une courte allocution télévisée de sept minutes à l’adresse de son peuple. Même s’il ne renouvelle pas les fondements du régime, l’acte n’est pas insignifiant : c'est à tout le moins la première fois qu'un monarque du Golfe cède le pouvoir de plein gré alors qu’il est encore en capacité de gouverner.

Comme pour Al-Jazira, le Mondial 2022 ou la visite à Gaza, Cheikh Hamad suscite ainsi l’attention et replace son pays au centre de l’intérêt médiatique planétaire. Sur le papier, le pari est réussi : le passage de relais à Doha confirme cette singularité du Qatar.Elle ne doit bien sûr pas être surévaluée : elle n'est qu'une transition politique apaisée à la tête d’une monarchie dynastique. Ni les fondamentaux du régime, ni les grandes orientations de la diplomatie du pays n'en sont affectés en profondeur.

Le choix du moment

La date n’a naturellement pas été choisie par hasard. Dix-huit ans quasiment jour pour jour après sa prise de pouvoir suite à un coup d’Etat pacifique en juin 1995, Cheikh Hamad cède le trône avec le sentiment du travail accompli. Après dix-huit années aux commandes, la mutation de l'Emirat a été radicale. La population a quadruplé, le PIB a été multiplié par 24, le Qatar s’est hissé au rang de pays le plus riche par habitant, et son taux de croissance économique a frôlé la barre des 20% en 2011. Grâce aux deux volets de son soft power, le Qatar joue désormais un rôle qui n’a plus rien à voir avec ses dimensions géographiques. Al Jazira lui a conféré une audience planétaire et Doha s’est imposée en épicentre du sport mondial, caressant, après l’obtention de la Coupe du monde de football 2022, la possibilité d'organiser les Jeux Olympiques de 2024. Désormais installé dans les consciences de Paris à Jakarta, présent dans les espaces décisionnaires de la Ligue arabe au CIO et bénéficiant d’un bras médiatique dont la sphère de diffusion va bientôt toucher les cinq continents, l’émir a donc cette impression de la mission accomplie.

Mais ce sentiment n’explique pas tout. Malgré cette ascension fulgurante, le Qatar n’est plus cet Etat admiré sans réserve. Le paroxysme de sa popularité s’est confondu avec la chute du Raïs Moubarak, honni par une population dont la liesse, au soir du 14 février 2011, a été retransmise en direct par la chaîne Al Jazira que certains n’hésitaient plus à assimiler à la radio Sawt al ‘arab de Gamal Abdel Nasser. Les temps ont changé, et du soutien à l’opération militaire occidentale en Libye au silence face à la répression du mouvement protestataire à Bahreïn, le désamour d’une partie au moins de l’opinion arabe avec le Qatar s’est transformé en hostilité frontale avec un émirat pourfendu par certains pour ce qui serait sa duplicité diplomatique. La passation de pouvoir doit être appréciée eu égard à cette nouvelle configuration : en perte de vitesse, c’est une manière pour Doha de reprendre l’initiative sur l’agenda médiatique régionale.

La stratégie de la distinction

Cette revanche entend se déployer à deux niveaux. Sur le plan moyen-oriental, le message adressé est de désamorcer cette critique qu’alimentent de plus en plus les détracteurs de l’émirat : comment le Qatar peut-il encourager les revendications populaires dans le monde arabe quand son système politique est lui-même fermé et rétif à toute réforme libérale ? En cédant le pouvoir, l’émir tente d’invalider ce procès en inversant le schéma accusatoire. La monarchie Al Thani montre l’exemple d’une transmission de pouvoir qui est une manière de renvoyer les républiques (notamment syrienne) à leurs propres contradictions. Car, comme pour la visite à Gaza, les grandes décisions politiques au Qatar doivent être analysées au prisme du conflit syrien qui est devenu la préoccupation centrale de sa diplomatie. A Gaza, l’un des objectifs était de couper définitivement le cordon ombilical entre le Hamas et l’axe Damas-Téhéran. Aujourd’hui, on peut légitimement penser que la transition ne s’adresse pas uniquement au peuple qatari, et qu’à l’inverse d’un Bashar Al Assad arc-bouté à son pouvoir au prix d’un chaos indescriptible, son ennemi irréductible abdique dans le cadre d’une transition en douceur.

L’autre signal est adressé à la région du Golfe. Depuis son arrivée au pouvoir, Cheikh Hamad n’a eu de cesse de construire la réputation du Qatar en opposition avec la stratégie de ses voisins, notamment saoudiens. Ce nouveau « coup » lui permet de quitter l’arène selon les mêmes modalités que ses premiers pas au pouvoir en installant son pays comme une monarchie « avant-gardiste », à l’écoute de son peuple. Derrière les nombreux messages de félicitation adressés par tous ses homologues du Golfe, on imagine en effet le malaise des autres familles royales encore une fois obligées de se positionner devant le scénario d’un monarque qui renverse une tradition en léguant le pouvoir à son fils. Après, les médias, le sport et la diplomatie, voilà une nouvelle (et dernière) occasion pour l’impertinent Cheikh Hamad de dicter l’agenda régional en impulsant un nouveau virage qui pourrait faire des émules. Un virage encore loin d’un authentique aggiornamento : du fait d’un système qui les écarte de la vie politique, plus de 85% de la population du pays reste en marge de cette transition.

 

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