Renforcement du partenariat stratégique Turquie-CCG
L'étape du Qatar fait suite à la deuxième réunion du Haut comité stratégique turco-qatari qui s’est tenu le 22 décembre dernier à Trabzon en Turquie où une quinzaine de protocoles d'accord ont été paraphés par les deux parties. Un total de trente mémorandums ont été conclus ces deux dernières années. Ces contrats couvrent de nombreux domaines de coopération : la culture, l’économie, l’énergie, l’éducation, la défense, la technologie, l'agriculture ou encore la santé.
Il s’agit d’une visite remarquée comme l’a indiqué l’ambassadeur du Qatar à Ankara Salim Mubarek al-Safi : « Nous estimons que la visite du Président turc Erdogan est très importante car elle s'effectue dans un climat international et régional très sensible et surtout, parce qu’elle intervient à la même période que l’arrivée de la nouvelle administration américaine au pouvoir ». Il a ajouté que sur le plan régional, la Turquie et le Qatar ont toujours soutenu les mêmes positions, notamment à l'égard des questions épineuses de la Palestine, de la Syrie, de l’Irak et du Yémen. Précisant qu'il n’est pas suffisant de développer "une position" mais qu’il faut "aller jusqu'à la source des problèmes" pour les résoudre, son propos reflète la profondeur des relations bilatérales entre deux pays qui ont ont noué l'un des partenariats stratégiques les plus solides de l'équation stratégique moyen-orientale. Signe de ce haut niveau de coopération, la Turquie a annoncé l'établissement au Qatar d'une base militaire permanente, ce qui est une première dans le monde arabe depuis la fin de l’Empire ottoman.
Des projections d'investissement en hausse
Les opportunités d'investissement entre les deux pays sont au beau fixe et bénéficient d'un climat incitatif historique. Le volume du commerce bilatéral a doublé en deux ans passant de 800 millions de dollars en 2014 à 1,5 milliard en 2015. À titre de comparaison et preuve de son envol, il ne s'élevait qu'à 38 millions de dollars en l'an 2000. Les investissements turcs au Qatar pourraient atteindre 30 milliards de dollars au cours des prochaines années, principalement dans le développement des infrastructures de la Coupe du Monde 2022. Sur le plan énergétique, le Qatar est le premier fournisseur en gaz de la Turquie qui couvre ses besoins à hauteur de 68%. Un accord signé en décembre 2015 permet à la Turquie de s’approvisionner en gaz naturel liquéfié (GNL) qatarien pour faire face à une demande en constante augmentation. Le ministre qatari de l’énergie Mohammed Saleh Abdullah al-Sada (qui est le président de l’OPEP en exercice) vient de confirmer les modalités d’approvisionnement par la Turquie.
Dans le cadre du soutien apporté par Doha à la lutte d’Ankara contre l’organisation de Fethullah Gülen soupçonnée d'oeuvrer à la déstabilisation du pays, deux personnes en lien avec cette organisation ont été extradés vers la Turquie en janvier dernier. Cette mesure s'inscrit dans le cadre du soutien du Qatar à la présidente d'Erdogan et à sa légitimité démocratique. Lors de la tentative de coup d'Etat de juillet 2015, les deux premiers pays arabes à avoir immédiatement condamné le coup de force furent le Qatar et le Maroc. Au sein des monarchies du Golfe, ce coup de force avait démontré l'étendue du clivage qui scinde deux camps. Loin de la posture du Qatar, les Emirats arabes unis avaient quasiment applaudi la tentative des généraux sécessionnistes, certains évoquant même le soutien direct d'Abou Dhabi aux factions s'opposant à Erdogan. De manière générale, l'aversion des dirigeants émiratis à la confrérie des Frères musulmans (dont est issu le parti islamo-conservateur AKP au pouvoir à Ankara) et leur soutien au régime putschiste du Caire n'est pas de nature à apaiser les relations bilatérales. De même, les Emirats arabes unis avaient vigoureusement critiqué Erdogan pour sa dénonciation active du Coup d’Etat en Egypte qui avait destitué le président Mohamed Morsi en juillet 2013. Cette position a eu pour conséquence le rappel de son ambassadeur à Ankara en août 2013 et ce, pour une période de trois ans (il a repris ses fonctions en mai 2016). Ce n'est donc pas un hasard si l'actuelle tournée du chef d'Etat turc a délibérément écarté l'étape des Emirats arabes unis.
Une synergie régionale dans un contexte sécuritaire houleux
Alliés depuis le début de la crise syrienne, l'émir du Qatar et Recep Erdogan ont sans doute passé en revue l'épineux dossier qui clive profondément la communauté internationale et partage la région en deux blocs. Après la chute d'Alep, la situation en Syrie s'est en effet particulièrement dégradée et le rapport de forces est aujourd'hui nettement favorable au régime. Le dilemme qui se pose aujourd'hui à l'axe Qatar-Turquie (auquel il faut ajouter, sur ce point, l'Arabie Saoudite) est le suivant : soit les deux pays s'unissent pour augmenter le niveau d'aide à la rébellion non jihadiste, soit ils prennent acte d'un déséquilibre flagrant qui réduirait à néant les efforts fournis depuis cinq ans. Dimanche dernier, Recep Erdogan a déclaré à Manama que les forces turques et leurs alliés rebelles syriens étaient entrés dans le centre de la ville d'al-Bab, dernier bastion de l’organisation État islamique dans la province d'Alep. Ce succès doit permettre l'établissement d'un projet turc au nord de la Syrie avec la constitution d'une zone tampon administrée par des forces supplétives à Ankara dont la mission sera tant d'écarter le risque jihadiste que de rendre impossible l'avènement d'un embryon d'Etat kurde.
Sur le plan humanitaire, les sociétés civiles turque et qatarie se sont largement mobilisées ces derniers semaines pour venir en aide à la population civile syrienne, particulièrement depuis la chute d'Alep. Quand de nombreuses manifestations éclataient dans diverses villes en Turquie, une levée de fonds a permis de récolter près de 100 millions de dollars en trois jours au Qatar. Enfin, sur d'autres dossiers sensibles du monde musulman, comme le sort des Rohingyas en Birmanie ou la situation sanitaire déplorable à Gaza, les deux pays ont entrepris des efforts conjoints afin de soulager la détresse de ces populations opprimées.