Il a également fustigé le rôle du Qatar comme étant le parrain "des groupes terroristes". Visant le Hamas et particulièrement le chef du bureau politique Khaled Mechaal basé à Doha qu'il menace de mort, le chef de la diplomatie israélienne a adopté un ton très dur à l’égard d’un pays dont l’activisme est perçu comme de plus en plus menaçant pour les intérêts israéliens. Ces exigences semblent avoir été mises à exécution puisque le ministre de la communication israélien a demandé aux câbles opérateurs de ne plus diffuser la chaîne.
Ces déclarations s’inscrivent dans une évolution des liens entre Israël et le Qatar qui ont connu une rupture radicale par rapport à ce qu’elles étaient précédemment. Après l’accession au pouvoir du Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani en juin 1995, l’émirat avait été l’un des seuls pays arabes à plaider une normalisation avec l’Etat hébreu. Cette politique de la main tendue s’était illustrée par l’ouverture d’un bureau de représentation commerciale israélien à Doha en 1996. Les ressorts de cette ouverture étaient doubles. Dépendant du parapluie militaire américain, l’officialisation des relations avec Israël s’inscrivaient dans une forme de marché avec Washington qui voulait faire de Doha le pivot d’une normalisation des relations entre Israël et les Etats arabes. De même, tournant le dos à la pratique des monarques arabes qui, dans bien des cas, traitaient secrètement avec Tel Aviv, les nouvelles autorités qataries ont préféré jouer la carte de la franchise. Ne voulant rien cacher à son peuple, Cheikh Hamad avait mené une politique décomplexée d’affichage avec les autorités israéliennes allant jusqu’à inviter le Premier ministre israélien à Doha. Cette convergence israélo-qatarie a duré jusqu’en 2009, date de l’offensive israélienne « Plomb durci » sur Gaza qui a conduit Doha à fermer la représentation israélienne sur son sol.
Mais le brusque revirement des relations entre les deux pays doit davantage se situer avec l’irruption du « Printemps arabe ». Plaidant le parti du changement, le Qatar a soutenu (hormis à Bahreïn) la volonté des populations de se libérer de régimes à bout de souffle avec lesquels Doha était souvent en conflit. Soutenant les processus de démocratisation qui ont partout porté au pouvoir des formations politiques issues de la matrice des Frères musulmans, l’émirat a alors identifié la confrérie comme la seule force politique qui, en plus de bénéficier de la légitimité populaire, était en mesure de supporter la charge de la conduite d’un Etat. C’est exactement à ce niveau que se situe la rupture avec Israël car la volonté des peuples arabes de s'émanciper de régimes oppressifs (et souvent de connivence avec Tel Aviv comme le fut le régime de Moubarak) ne pouvait se doubler en matière de politique étrangère que d’un indéfectible soutien à la cause palestinienne.
Ce virage diplomatique du Qatar l’a alors poussé à adopter une relation de forte proximité avec ces mouvements sortis vainqueurs des urnes. La période au pouvoir du président Mohamed Morsi (de juin 2012 à juillet 2013) illustrait ce compagnonnage de route et c’est à cette période que l’ancien émir Hamad a pu mener, en octobre 2012, sa visite triomphale dans la bande de Gaza. Ce déplacement a permis au Qatar de se poser en parrain du mouvement palestinien et ce, à tous les niveaux. Le soutien financier de Doha qui assurait au Hamas une aide de plus de 400 millions de dollars se doublait d’un appui diplomatique inespéré puisque ce voyage brisait symboliquement le blocus qu’Israël voulait rendre permanent. Cette solidarité tous azimuts de Doha à la formation palestinienne avait considérablement irrité les Israéliens qui voyaient ainsi leur politique d'endiguement intégral du Hamas être battue en brèche. Face à cette nouvelle équation régionale où le Qatar espérait, aux côtés de l’Egypte et du Hamas (voire de la Turquie) sceller une alliance stratégique qui pouvait potentiellement reléguer l’Arabie saoudite au second plan de l’arène régionale, Israël a exprimé sa vive préoccupation. Percevant l’horizon négatif pour Tel Aviv d’une telle convergence, le Jérusalem Post dévoilait qu’un haut responsable israélien avait affirmé que le Qatar allait devenir dans un avenir proche « l’ennemi intime d’Israël ».
C’est dans cette même perspective qu’il faut aujourd’hui situer les déclarations d’Avigdor Lieberman. Le Qatar, soutien financier et parrain diplomatique du Hamas, dispose en plus d’une force de frappe médiatique qui a tout pour déplaire. Du fait de la puissance de ses moyens, de sa capacité à relayer le direct dans plusieurs langues, de sa tonalité éditoriale qui fustige le carnage israélien et du fait également de sa reconnaissance comme canal d’information majeur dans l'offre audiovisuelle mondiale, le groupe qatari devient aujourd’hui pour Israël un adversaire redoutable. La logique israélienne d’un musèlement de la chaîne (fut-il par les bombardements de ses locaux) est également doublée par la mise sur orbite d'une chaîne d'information israélienne basée à Tel Aviv, i24news. Cette chaîne diffuse depuis l'an dernier en arabe, en anglais et en français et son objectif avoué lors de son lancement était de concurrencer sa rivale qatarie. Ce mode opératoire rappelle à bien des égards l’attitude de Washington pendant la guerre en Irak. Agacée par les images que la chaîne transmettait au monde entier (notamment celles des victimes des bombardements sanglants sur Bagdad ou Falloujah), Washignton avait lancé la chaîne d'information Al Hurra pour faire pièce à ce qu'elle considérait comme la "propagande d'Al Jazeera". De même, l'armée américaine avait pilonné à plusieurs reprises ses locaux jusqu’à tuer un de ses journalistes, Tareq Ayoub. C’est donc aujourd’hui la même démarche de censure et de contre-offensive qui guide le ministre israélien des Affaires étrangères. Mais comme pour l’Irak, cette volonté de bâillonner l’expression publique du groupe qatari risque de susciter l’effet contraire du but recherché.
Enfin, il est à noter que cette vive tension entre Israël et le Qatar tranche avec le rapprochement initié entre l'Etat hébreu et d'autres pays arabes. Depuis la destitution du président Mohamed Morsi en Egypte, une ligne de fracture très nette s'est introduite au sein des monarchies du Golfe où le Qatar, isolé, doit faire face à de fortes dissensions avec ses voisins. Ces derniers ont déclaré la guerre à la confrérie des Frères musulmans (à laquelle appartient le Hamas) la classant même comme "organisation terroriste". Le mouvement palestinien n'est donc pas en odeur de sainteté à Riyad comme à Abou Dhabi et le fait que le blocus de Gaza soit en réalité un blocus israélo-égyptien renforce cette impression d'un front de plusieurs pays arabes dont l'ennemi ne serait pas tant Israël mais le Hamas. Cette pensée a d'ailleurs clairement été énoncé par un haut-responsable émirati. Dahi Khalfane, ancien chef de la police de Dubaï, avait déclaré l’an dernier dans un entretien télévisé que l'ennemi de la nation arabe n'était "pas Israël mais les Frères musulmans". Cette hostilité envers la confrérie explique pourquoi les Emirats arabes unis sont (avec les Saoudiens) les principaux bailleurs de fonds de l'Egypte du Maréchal Sissi, lui-même allié d'Israël dans son blocus sur Gaza. Cette boucle de l'encerclement des Frères musulmans (et du Qatar) devrait voir sa toile définitivement fermée lors de l'ouverture prochaine d'une ambassade israélienne aux Emirats arabes unis. L’an dernier, la Knesset avait donné son accord pour ce projet de lancement de relations diplomatiques avec un pays du Golfe. Selon Le Nouvel observateur du 23 mai 2013, il s'agirait d'Abou Dhabi.