Finance islamique au Qatar : entretien avec Rashid Hamdaoui

vendredi, 15 novembre 2013 09:46

Doha-skyline-night-1 5121/ Vous travaillez dans le secteur de la finance en tant que consultant pour une banque islamique au Qatar. Pour un lecteur novice, pourriez-vous rappeler les fondamentaux de cette finance dite "éthique" et dont la croissance bénéficie d'un taux à deux chiffres depuis plusieurs années?

Selon le rapport annuel 2011 de S&P, la finance islamique représentait 1140 milliards $, soit près d'1% du volume mondial des actifs financiers. La finance islamique dans son ensemble peut être comparée au bilan du Groupe BNP Paribas. Autant dire une goutte d'eau. Mais alors, pourquoi la finance islamique suscite-t-elle autant d'engouement?

Les banques islamiques affichent une bonne résistance à la crise. Cette performance attire l'attention mondiale. Aussi, la finance islamique affiche une croissance annuelle d'environ 20% et devrait atteindre 4000 milliards $ d'ici 2014 d'après le rapport annuel 2011 de S&P. Le développement de la population musulmane mondiale ainsi que le contexte politique des pays où la population est majoritairement musulmane sont des éléments qui laissent espérer une croissance encore plus importante dans les années à venir.
La finance islamique est avant tout un nouveau système financier qui prend principalement sa source dans le droit musulman des affaires. L'éthique devançant la morale, elle est également présentée comme un compartiment de l'économie éthique, solidaire et socialement responsable. La finance islamique repose sur des principes universels parmi lesquels :

- Elle interdit principalement l'enrichissement sans cause et encourage le partage des valeurs ajoutées créées.
- Les secteurs d'investissements sont minutieusement sélectionnés. Tout investissement dans des secteurs tel que l'armement, l'alcool, le tabac, la pornographie... sont interdits.
- La finance islamique fait du développement de l'économie réelle ses priorités. Par conséquent, l'investissement devient obligatoirement adossé à un actif tangible. Ainsi, il devient impossible de vendre ce que l'on ne possède pas.
- Le commerce de la dette, la spéculation excessive, la titrisation à outrance sont formellement interdits.
- Une importance particulière est donnée aux relations commerciales, où l'incertitude dans les termes contractuelles est formellement prohibée.
- L'entreprenariat est également soutenu en insistant sur le principe du partage des pertes et des profits. "On gagne ensemble, on perd ensemble": une règle d'or qui pousse l'investisseur à soutenir l'entrepreneur dans les moments difficiles.
La finance islamique est clairement une alternative à un système financier conventionnel en mal de renouveau.

2/ Quel est la place du Qatar aujourd'hui dans l'univers de la finance islamique? Se classe-t-il parmi les premiers pays musulmans au monde ou est-il à la traîne? De même, quelle est la part de marché des banques islamiques dans l'univers bancaire national du pays ? Est-elle majoritaire, minoritaire, en pleine expansion ?

L'industrie financière islamique est principalement dominée par l'Iran, l'Arabie Saoudite, le Koweït, la Malaisie et les Émirats Arabes Unis. La volonté affichée de Dubaï de devenir le HUB mondial de la finance islamique a poussé les banques islamiques du Qatar à réagir. Aujourd'hui, les actifs des banques islamiques du Qatar s’élèvent à 54 milliards de dollars et devraient atteindre 100 milliards de dollars en 2017 selon S&P. Les banques islamiques du Qatar enregistrent une croissance annuelle de 35% au cours des cinq dernières années. Les banques islamiques du Qatar s'offrent même la place de championnes mondiales de la croissance. Une croissance dopée notamment par le National Vision 2030.
Cependant, ces institutions financières islamiques représentent une faible part de l'économie qatarie. La Qatar National Bank (QNB) domine largement le marché. Pour continuer à se développer sur du long terme, ces institutions se doivent de chercher des relais de croissance à l'international. Plusieurs pays majoritairement musulmans sont ciblés. La France reste également une cible de choix pour ces institutions.

3/ A la fin des années 2000, le gouvernement français semblait plutôt disposé à faire de la place de Paris l'un des espaces privilégiés d'accueil de la finance islamique en Europe. A l'époque, une banque qatarienne était à la manœuvre afin de mener à bien le projet. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce projet et les raisons de son échec? De même, aujourd'hui, la perspective de l'installation en France voire en Europe d'une finance islamique (en lien avec des institutions bancaires qatariennes par exemple) est-elle envisageable ou est-ce du domaine de l'utopie?

Qatar Islamic Bank (QIB), par le biais de Salah Al Jaidah, avait manifesté sa volonté d'ouvrir plusieurs agences en France pour 2010. Des accords avec BPCE avaient également été évoqués. La volonté affichée de Christine Lagarde de faire de Paris une place forte pour la finance islamique en Europe, avait encouragé QIB à développer ce projet. Or, le marché français est particulièrement difficile à pénétrer car ouvrir le système financier, c'est ajouter un concurrent de taille aux banques françaises. Ces dernières n'ont pas attendu pour réagir et bloquer le projet. Des accords stratégiques ont même été évoqués avec BPCE. Cependant, les propositions n'ont pas convaincu les dirigeants de QIB et le projet a été enterré.
Malgré ça, le Qatar a toujours gardé un œil sur l'Europe et surtout sur la France. Les musulmans sont très présents en Europe, plus particulièrement en France, et le Qatar compte bien en profiter. Au sein de QIB, un projet d'envergure européenne est en préparation. Pour ma part, j'accompagne le Board de QIB pour le développent d'une offre en France. Autant vous dire que les moyens sont mis en place pour permettre à QIB de s'installer sereinement en France. Cependant, cette installation se fera progressivement. QIB ne souhaite pas heurter l'opinion publique française. L'image du pays n'est pas au beau fixe en ce moment. Et le Qatar compte bien réagir. Parce qu'il est important d'apprendre à se connaître pour mieux travailler ensemble, des initiatives culturelles vont être développées. Un travail nécessaire pour faciliter l'intégration du Qatar dans le paysage économique français.

Rashid Hamdaoui, CEO de l'Islamic Financial Times, premier media français dédié à la finance islamique. Président de l'European Islamic Finance Center, Think Tank en finance islamique. Consultant senior en stratégie pour plusieurs banques islamiques dont Qatar Islamic Bank.

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