La télévision du Qata ra radicalement changé la notoriété et l'image du petit émirat, en "brisant le monopole" des chaînes nationales de pays arabes et des chaînes occidentales. "Mais elle n'a plus aujourd'hui l'aura qu'elle avait dans le monde arabe, le côté inattaquable d'un média qui offre une alternative à CNN, estime le géopolitologue, qui s'est rendu plusieurs fois à Doha. Elle est accusée de servir les intérêts nationaux du Qatar."
Al-Jazira est à un moment charnière de son histoire. Après une période de conquête du monde arabe est venue une phase de diversification et d'internationalisation, alors que son image a changé. Le géant compte aujourd'hui 20 chaînes, dont une pour les enfants, et un puissant bouquet de sport, BeIn.
Elle revendique 70 bureaux dans le monde et toujours la première place dans le monde arabe : au premier trimestre, son nombre de téléspectateurs dépasse de 34 % celui de ses concurrentes réunies, dans la région Moyen-Orient etAfriquedu Nord, selon un sondage commandé par le groupe et réalisé par Ipsos et Sigma.
"L'influence d'Al-Jazira a atteint son apogée lors de l'irruption des printemps arabes qui constituaient un peu une forme d'aboutissement de son militantisme, tant sa critique acerbe des régimes illégitimes et corrompus dominait sa ligne éditoriale depuis son lancement. Seulement, cet état de grâce a été de courte durée", analyseNabil Ennasri, auteur de L'énigme du Qatar (Armand Colin, 196 pages, 19 euros) , et président de l'association confessionnelle Le collectif des musulmans de France.
"SUJET CLIVANT"
Dans sa couverture du conflit enSyrie, de la guerre enLibye, ou aujourd'hui de l'Egypte, Al-Jazira a été accusée d'être trop favorable aux islamistes. Sa concurrente saoudienne Al-Arabyia n'a, par exemple, pas manqué desouligner, le 9 juillet, que des employés égyptiens avaient quitté la chaîne pour des raisons politiques, après la chute du président Mohamed Morsi. Al-Jazira l'a reconnu mais a rappelé que les militaires l'avaient "particulièrement" ciblée, dans leur "vague d'intimidation des médias" au Caire.
Pour M. Ennasri, " le Qatar est un sujet éminemment clivant dans le monde arabe et l'une des stratégies pour contourner cette forme de blocage est de poursuivrel'internationalisation du groupe". En effet,Al-Jazira English, lancée en 2006 comme chaîne globale anglophone, est réputée plus lisse éditorialement que l'antenne arabe.
En 2011 a été lancée Al-Jazira Balkans, une chaîne à vocation régionale, située à Sarajevo et présentée comme professionnelle et indépendante. Al-Jazira America vante aujourd'hui une ligne éditoriale américaine, et met en avant ses recrues issues de grands médias nationaux. Une chaîne en turc est évoquée, ainsi qu'une antenne consacrée au Royaume-Uni.
Un projet de chaîne francophone, à Paris, a été confirmé mais sans calendrier. Dans une tribune contre le "Qatar bashing" parue fin mars, l'ambassadeur à Paris,Mohamed Al-Kuwariassurait que "les investissements du Qatar sont parfaitement neutres sur le plan religieux". Une quête de respectabilité qui risque peut-être defaireperdre à Al-Jazira l'originalité qui a fait son succès, notamment auprès d'un public musulman.
Source : http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/20/critiquee-al-jazira-cherche-a-concilier-credibilite-et-respectabilite_3463724_3234.html