La galaxie des Frères musulmans est divisée sur l’opération « Serval »

dimanche, 03 février 2013 01:00

Analyse du journal Le Monde publiée le vendredi 25 janvier 2013. De Benjamin Barthe.

Principale force politique du nouveau monde arabe, celui qui a été remodelé par les révolutions de l'année 2011, le mouvement des Frères musulmans a réagi en ordre relativement dispersé à l'intervention française au Mali. Si la maison mère de la confrérie, fondée en Egypte à la fin des années 1920, a critiqué l'operation militaire "Serval", les différentes branches de cette organisation transnationale n'ont pas toutes réagi à l'unisson.

Au-delà d'un réflexe de défiance à l'égard de ce qu'ils voient comme une nouvelle intrusion occidentale en terre musulmane – attitude facilitée par le fait que la situation au nord du Mali est souvent mal connue –, les nouveaux pouvoirs doivent composer avec leur opinion publique et leurs intérêts géopolitiques, parfois divergents.

 

Jeudi 17 janvier, dans un communiqué de l'Union internationale des oulémas, qu'il préside, le cheikh égyptien Youssef Al-Qaradaoui, considéré comme le guide spirituel de fait de la confrérie, avait jugé l'entrée en action des soldats français "précipitée". Célèbre dans tout le monde musulman pour l'émission "La charia et la vie", sur la chaîne qatarie Al-Jazira, ce prédicateur s'était ému des "conséquences dangereuses" de l'opération, avant d'exhorter les parties à régler la crise par le dialogue.

"CELA VA ATTISER LE CONFLIT DANS CETTE RÉGION"

Quatre jours plus tard, le président égyptien Mohamed Morsi, haut dirigeant de la confrérie, s'était à son tour dit hostile au déploiement des forces françaises. "Cela va attiser le conflit dans cette région, avait-il déclaré. L'intervention doit être pacifique et (...) des fonds doivent être investis dans le développement."

M. Morsi s'est d'autant plus facilement rallié aux vues du télécoraniste d'Al-Jazira que ses rivaux salafistes tentent de mobiliser la rue contre l'opération "Serval". Le 18 janvier, plusieurs dizaines de radicaux musulmans avaient protesté devant l'ambassade de France au Caire, stigmatisant ce qu'ils voient comme une intervention "coloniale". A quelques mois d'élections législatives et alors que l'exercice du pouvoir entame l'aura de son parti, le président Morsi se devait d'occuper le terrain, même si la question malienne reste très secondaire dans les préoccupations des Egyptiens.

Le Qatar, qui héberge le cheikh Qaradaoui et dont les affinités avec les Frères musulmans sont notoires, s'est lui aussi dissocié de l'intervention tricolore. "Je ne pense pas que la force réglera le problème", avait déclaré le premier ministre de cet opulent émirat, le cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, qui avait proposé de contribuer à une mission de médiation.

Ce positionnement en rupture avec Paris, avec qui Doha entretient pourtant des liens très étroits, tant diplomatiques qu'économiques, a aussitôt relancé les spéculations sur un financement des islamistes du Nord-Mali par le Qatar. Des allégations formulées notamment par Le Canard enchaîné, qui, dans un article du mois de juin 2012, citait une source au sein des renseignements militaires français.

LE LIBYE SOUTIENT L'INTERVENTION FRANÇAISE

En critiquant l'attaque française, le Qatar trahirait-il ses préférences ? La thèse ne convainc pas le chercheur Nabil Ennasri, bon connaisseur de la gazo-monarchie. Outre le fait que la collusion entre Doha et les insurgés du nord du Mali n'a jamais été formellement établie et que la France a toujours rejeté ces imputations, il estime que le Qatar n'a guère d'intérêt à remettre en cause sa relation avec Paris pour "une question périphérique". "Le souci de Doha, c'est de ne pas apparaître comme le supplétif d'une opération taxée de coloniale, dit-il. Les dirigeants qataris se sont beaucoup mouillés dans les affaires libyenne et syrienne. Ils jugent plus prudents de revenir à leur posture originelle de médiateur."

En Tunisie, dirigée par le mouvement Ennahda, un épigone des Frères musulmans, le calcul est différent. Même si la population, surtout dans les milieux salafistes, voit d'un mauvais oeil le débarquement des troupes françaises, le pouvoir, après un temps d'hésitation, a dit "comprendre" la décision de Paris. La peur de la contagion islamiste et le souci de ne pas endommager la relation avec Paris ont assurément joué.

La Libye, où les Frères musulmans constituent la deuxième force politique, a elle aussi apporté son soutien à l'opération "Serval". Selon une source militaire française, des forces de sécurité libyennes auraient même arrêté des éléments islamistes, qui faisaient route vers le Mali. Une attitude motivée par l'hostilité commune de Tripoli et Bamako à l'égard des revendications touareg et par le souci de reprise en main sécuritaire, après l'attaque djihadiste contre le consulat américain de Benghazi.

Selon le chercheur Jean-Pierre Filiu, ces réactions divergentes confirment la "nationalisation du politique dans la période post-révolutionnaire. Désormais, l'opinion publique pèse. "

Source : http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2013/01/24/la-galaxie-des-freres-musulmans-est-divisee-sur-l-operation-serval_1822097_1466522.html

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