Balayant les dix-huit années qui séparent la prise du pouvoir de Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani en juin 1995 à la fin de son règne en juin 2013, le livre propose une mise en perspective de la politique étrangère de l’émirat dans ses fondements comme dans ses implications. Le plan est charpenté de manière à faire une immersion dans les mécanismes de prise de décision au sein de l’appareil d’Etat. Cette première partie est d’un grand intérêt car on y perçoit l’envers du décor d’une diplomatie qui va très vite émerger comme l’une des plus dynamiques de la région. Agrémenté d’entretiens avec des acteurs de premier plan, l’ouvrage permet aussi de bien saisir les différentes temporalités de la politique étrangère de l’ancien émir. Ce dernier, après avoir posé les bases idéologiques d’une projection du Qatar à l’international, va s’attacher à mettre la richesse du pays au service d’une vision. Mal acceptée par les autres pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe) qui vont entrer dans une sourde rivalité avec Doha, l’ouvrage rappelle combien cette diplomatie est aussi le fruit d’une géographie et d’une position géostratégique extrêmement volatile. Cette posture d’émirat richissime mais vulnérable a imposé au pays de nouer des alliances, notamment militaires, avec les grandes puissances, dans une volonté de conjurer la menace existentielle que fait peser sur les petits émirats du Golfe l’appétit démesuré et irrationnel des grands voisins. On ne comprendra pas la stratégie de Cheikh Hamad si on ne met pas en perspective le fait que quelques années à peine avant son arrivée au pouvoir, le Koweït était littéralement absorbé par les troupes de Saddam Hussein en l’espace de quelques heures. Ce précédent, vécu comme un traumatisme pour les autres monarques de la région, a joué un rôle de repoussoir pour les élites qataries qui en ont tiré toutes les conséquences.
Il est également salutaire que l’ouvrage ait pris le soin d’analyser la conduite de la politique de l’émirat à l’égard du « Printemps arabe » qui a démarré en décembre 2010. Seulement, on reste un peu sur notre faim car l’espace consacré à ces soulèvements est relativement réduit. C’est l’une des principales limites du livre qui laisse une impression d’inachevé. D’autant que les grandes interrogations qui ont ciblé le Qatar ces dernières années, notamment auprès des opinions occidentales, résident précisément dans l’activisme du Qatar qui, de la campagne militaire en Libye à la guerre civile en Syrie, n’a négligé aucun espace pour manifester son désir de puissance.
Titulaire d’une thèse en droit des relations internationales obtenu à l’Université d’Avignon en 2011, Jamal Abdallah est actuellement chef de service du pôle des pays du Golfe au Centre d’études d’Al Jazeera qui figure parmi les trois principaux centres de recherche de la capitale qatarie. Ses travaux universitaires portent sur le champ diplomatique du Moyen-Orient. Il participe régulièrement à des colloques, conférences et ateliers avec différentes institutions internationales.