Depuis sa création le 20 août 2013, la déclinaison américaine de la chaîne avait pour ambition de concurrencer les grandes rivales comme Fox News et CNN en proposant notamment une place importante aux formats longs. Malgré cette identité propre, Al Jazeera America n’a jamais réussi à trouver son public, malgré d'importants investissements initiaux.
Al-Jazeera America avait vu le jour sur le rachat de la chaîne câblée Current TV, appartenant à l'ancien vice-président Al Gore et rachetée pour un montant de 500 millions de dollars. Son siège est situé à Manhattan à New York et elle compte une douzaine de bureaux détachés aux Etats-Unis et 850 collaborateurs.
La chaîne qui a essuyé de nombreuses critiques depuis son lancement aux Etats-Unis a continué à faire la une des médias et à susciter la méfiance d'une partie des élites Outre-Atlantique. La direction avait en mai dernier annoncé la nomination d’un nouveau directeur général sur fond de plusieurs démissions et d’une plainte d’un ancien employé pour antisémitisme et sexisme. La chaîne a formellement rejeté ces allégations dans un communiqué publié lundi 4 mai. « Ces informations sont fausses et malveillantes et sont destinées à nuire au talent et à la diversité exceptionnels des salariés et aux valeurs qu'Al Jazeera America promeut » précisait le communiqué. Pour mettre fin à la polémique, Ehab al-Shihabi avait été remplacé à la tête de la chaîne par Al Anstey, l’ancien directeur général d’Al Jazeera English.
L’annonce de cette fermeture montre que la chaîne qatarie est à la croisée des chemins. Après avoir été en pointe dans la dénonciation des régimes autoritaires et révolutionnée le champ médiatique arabe, Al Jazeera vit une forme de crise d’identité depuis l’irruption des révoltes arabes. Sa proximité avec le pouvoir qatari de même que son parti pris lors des révoltes arabes lui ont valu de nombreuses critiques. De la même manière, sa stratégie d’expansion mondiale semble montrer ses limites comme l'illustre l'échec de la filiale américaine. Ceci étant, le dynamisme affiché par les responsables de la chaîne montre aussi que la volonté de rester comme un des leaders de l'information au niveau mondial demeure. Le lancement d’AJ + en septembre 2014 en anglais puis en arabe et en espagnol, dont les vidéos ont atteint deux milliards de vue, est un exemple parmi d’autres. La vraie question pour ces prochaines années est de savoir si la direction du groupe va se risquer à se lancer dans de nouveaux projets ambitieux comme une filiale en espagnol ou en français, hypothèse qui entrerait dans la logique de faire d’Al Jazeera l’une des locomotives de l’actualité mondiale. L’autre scénario serait qu’elle se contente de préserver ses fondamentaux en se recentrant sur les versions arabe et anglaise ainsi que sur le développement numérique (les réseaux sociaux, smartphones, tablettes,…).
Sur la base des informations disponibles, il semble que la direction préfère miser sur la dernière option qui connaît un franc succès sur les réseaux sociaux. AJ+ English est composé d’une équipe de 70 personnes réalisant une cinquantaine de vidéos par semaine, la plupart d'une durée d'une minute environ (maximum cinq minutes) sur un sujet d’actualité ou d’un fait inédit. Les vidéos sont diffusées selon un format adapté aux plateformes sociales (Facebook, Twitter, Instagram…) et au mobile, c'est-à-dire court, partageable et conçu pour être vu sans son. Pour l'instant, cette stratégie semble payante même s'il n'est pas exclu que l'émirat se lance dans d'autres projets ambitieux pour un média qui demeure l'une des réalisations les plus emblématiques du Qatar post-1995.