Devenir le pivot du monde arabe
Cette deuxième visite s’inscrit dans un contexte radicalement différent de la précédente. En une décennie, le Qatar est passé du stade de petite monarchie pétrolière insignifiante à un acteur incontournable de la scène moyen-orientale.
Le moment choisi n’est pas anodin. Débordant d’ambitions, Doha a mis à profit la conjoncture issue du printemps arabe pour reprendre au Caire et à Riyad le leadership de la réconciliation interpalestinienne.
Avec une Egypte convalescente et une Arabie saoudite engluée dans ses querelles de succession, Doha a saisi l’opportunité d’occuper le devant de la scène sur un sujet qui domine les représentations du monde musulman. En février dernier, c’est à Doha que les chefs du Fatah et du Hamas se sont réunis pour signer un accord de réconciliation nationale.
Le Qatar souhaite engranger, par le biais de cette visite historique, les dividendes symboliques, politiques et médiatiques d’un engagement qui doit faire de lui, dans son optique, le pivot du monde arabe.
Avec les rebelles sunnites syriens
Le déplacement du cheikh Hamad s’inscrit également dans un contexte régional extrêmement volatile où la crise syrienne accentue les polarisations politiques et confessionnelles.
Soutien des rebelles et parrain du sunnisme régional, le Qatar s’est fortement engagé dans une ligne de faille qui est devenue la caisse de résonance d’un affrontement régional contre l’axe chiite qui s’étend de l’Iran au Hezbollah et dont la Syrie de Bachar el-Assad est un élément-clé.
Dans cet antagonisme qui menace la stabilité de toute la région et où le Liban semble malheureusement devenir la prochaine victime, chaque camp tente de mobiliser les ressources symboliques afin de légitimer son positionnement.
Dans cette compétition, l’alignement des factions palestiniennes (et du Hamas en particulier) sur la position qatarie gratifie la diplomatie du cheikh Hamad d’un précieux atout.
Avec les Palestiniens... les USA et Israël
Accueilli avec les honneurs par le mouvement palestinien et apportant une aide de 250 millions de dollars à divers projets de reconstruction de la bande de Gaza, l’émir valorise ainsi son image et projette sur la scène régionale un appui qui lui permet de se prévaloir de la légitimité du peuple palestinien.
De plus en plus décrié pour son implication tous azimuts, le Qatar trouve donc dans cette visite matière à redorer son blason.
C’est certainement autour de la question palestinienne que le Qatar fait le plus état de ses contradictions. Siège et mécène d’Al Jazeera, pourvoyeur de fonds du Hamas, longtemps ami de l’Iran et se déclarant prêt à recevoir une représentation des talibans afghans, le Qatar n’en est pas moins l’un des alliés les plus solides des Etats-Unis dans la région et le seul pays du Golfe à nouer des relations quasi-officielles avec Israël.
Ces paradoxes constituent en réalité la base idéologique du dispositif diplomatique qatari mis en place depuis l’arrivée du cheikh Hamad au pouvoir en juin 1995.
Conscient de ses faiblesses intrinsèques et de sa grande vulnérabilité face à d’imposants voisins aux appétits menaçants, le pays a opté sans complexe pour l’assurance du parapluie militaire américain et la politique de compromis (voire de compromission) avec Israël participe de cette politique de bons offices à l’égard du gendarme de la région.
Soutien du Hamas, seul « légitime »
Dans le même temps, Doha ne s’interdit aucune alliance et afin de contenter sa population foncièrement propalestinienne, les autorités soutiennent le Hamas et le considèrent comme le représentant légitime du peuple palestinien [Le leader en exil du Hamas, Khaled Mechaal, a quitté cette année sa base de Damas pour aller s’installer à Qatar].
Face à une Autorité palestinienne en lambeaux et au bord de l’effondrement et considérant le déplacement du centre de gravité du monde arabe au profit des formations de l’islam politique, les autorités de Doha ont compris qu’il était nettement plus rentable d’opter pour la formation islamiste palestinienne.
Depuis la sanglante opération Plomb durci de l’hiver 2009, des dizaines de millions de dollars ont été injectés pour aider à la reconstruction de la bande de Gaza.
De la reconstruction d’établissements scolaires détruits (comme pour la réhabilitation de la célèbre école Fakhoura par une fondation de la cheikha Mozah, épouse de l’émir) au soutien aux ONG par le biais de la Qatar Charity jusqu’à l’assistance logistique apportée aux médias locaux par l’implantation d’une branche du Doha Centre for media freedom ou le financement d’un vaste complexe immobilier au nom de l’émir, le Qatar a fait de Gaza l’une des cibles prioritaires de son engagement international.
Largement attendu par la population gazaouie, le voyage du cheikh Hamad, facilité par la présence au Caire d’un gouvernement dominé par les Frères musulmans, ne fera que traduire sur le terrain un militantisme diplomatique qui confère à ce petit pays une place à part sur l’échiquier régional.