L'abolition du système de la "kafala" retardée?

mercredi, 24 juin 2015 13:50

ouvriers qatarL'abolition par les autorités qataries du système de parrainage appelé "kafala", annoncée d’ici la fin 2015, pourrait être retardée après de sérieuses réserves émises par le Conseil consultatif de l'émirat.

Le quotidien qatari en langue arabe al-Sharq a rapporté, mardi 23 juin, que le Conseil consultatif (Majlis al-Choura) avait estimé lundi qu'un projet de loi réformant le code du travail ne pouvait être adopté pour le moment et qu'il nécessitait un examen complémentaire. Mohamed ben Moubarak Al Khoulaifi, président de ce Conseil, a affirmé qu'il n'était "pas nécessaire de se presser" car « il faudrait un an pour mettre en œuvre la loi après sa publication dans le journal officiel ». Il s’agit là d’une nouvelle demande d’examen supplémentaire en l'espace d'un mois.

 

Lourdeur administrative

En effet, le Conseil a de nouveau formulé des modifications à un comité pour une étude plus approfondie après avoir émis la même demande début juin. Le projet de loi qui comprend 50 articles visait initialement à faciliter la possibilité de changer d’emploi aux expatriés et de quitter le pays sans autorisation de l’employeur. Théoriquement, cela rendrait plus difficile à un employeur d'empêcher un employé de quitter le Qatar parce qu'il aurait à présenter des arguments justifiés (raisons judiciaires ou financières) à une commission gouvernementale pour motiver son refus.

Ces changements prévoient également d'assouplir les exigences du "certificat de non-objection" (CNP) que les travailleurs étrangers doivent se procurer pour changer d'emploi. Actuellement, si l’employeur n’accorde pas le CPN, le travailleur doit quitter le Qatar durant deux ans avant de postuler pour un autre emploi. Le Conseil consultatif a indiqué qu'il souhaitait conserver cette interdiction de délivrance de nouveaux documents aux employés expatriés qui quittent le Qatar après l'annulation de leur visa de travail. Par ailleurs, les travailleurs étrangers qui provoqueraient « délibérément » des problèmes à leurs employeurs ne devraient pas être autorisés à changer d'emploi et seraient sanctionnés. Celui qui rompt le contrat sans respecter la législation sera banni pour quatre ans. La Commission des Affaires étrangères du Conseil consultatif demande également de ne pas permettre aux expatriés de changer d'emploi plus de deux fois.

On peut s’étonner de la réaction du Conseil consultatif quand on sait qu’en mai dernier, le ministre du Travail Abdallah Saleh Moubarak al-Khelaifi avait déclaré que " les nouvelles règles de parrainage et des permis de sortie enteront en application dans le courant de cette année ». Cette annonce qui représentait  une nouvelle étapedans le lent processus de réforme du code du travail qatari avait suscité l'enthouisasme.Dans ces nouvelles adaptations, la réforme stipule que dès lors que le contrat de travail arrive à échéance, le travailleur sera libre de changer d'employeur ou de quitter le pays. Cependant, celui qui signe un contrat à durée indéterminée aurait à travailler pour son employeur pendant cinq ans avant d'être autorisé à changer d’emploi, à moins qu'ils ne reçoivent une autorisation spéciale de son employeur/sponsor. Le cas échéant, il aura la possibilité de postuler en ligne selon une procédure simplifiée via le site du Ministère de l'Intérieur. S'il veut quitter l'émirat, il recevra un permis de sortie dans les 72 heures qui suivent la fin du contrat.

Un train de réformes timides mais réelles

Cette prise de position du Conseil consultatif traduit l'actualité du rapport de forces entre certaines forces qui essaient de retarder les reformes du code du travail. Pourtant, saisissant l'importance de l'attention médiatique mondiale à son égard, l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a récemment pris une série de mesure pour améliorer le statut des travailleurs. Il a ainsi promulgué le 18 février 2015 la loi n°1 2015 portant sur la modification de certaines dispositions de la loi n°14 du code du Travail de 2004. Cette loi vise à améliorer la condition des ouvriers étrangers en facilitant le paiement électronique des salaires pour tous les travailleurs du secteur privé. Cette loi impose notamment aux entreprises privées de verser aux travailleurs leurs salaires en temps et en heure par un système de transfert électronique. Signe de cette volonté de faire preuve de réactivité, les entreprises auront un délai de six mois pour mettre en application le nouveau mode de paiement. Les entreprises qui ne verseront pas les salaires des travailleurs par voie électronique en temps voulu risquent une peine d'emprisonnement d’un mois maximum et/ou d’une amende de 2.000 (480€) à 6.000 riyals (1450€).

En plus de cette nouvelle loi, le ministère a déployé un effectif d’environ 300 inspecteurs qui auront pour mission d’inspecter les logements, la santé et la sécurité des ouvriers. Il en promet 400 d’ici la fin de l’année. Si les entreprises violent ces nouvelles dispositions, elles seront intégrées sur une liste noire et ne recevront plus de visas jusqu'à ce que les problèmes détectés soient résolus.

À propos des ouvriers exerçant un travail à l’extérieur, le ministère a publié un communiqué, largement relayé sur les réseaux, qui interdit formellement tout travail de 11h30 à 15h00 lors de la période estivale. Le ministère du Travail a en outre indiqué que  plus de 800 entreprises ont été pénalisées pour avoir enfreint ce règlement durant le premier semestre 2015. Les autorités ont en plus installé des kiosques interactifs qui permettront à tout travailleur d’introduire une plainte en sept langues ainsi qu’un numéro vert.

Réformes jugées insuffisantes pour Amnesty International

Amnesty International a publié le 21 mai dernier un rapport détaillé rappelant au Qatar qu’il n’a pas tenu toutes ses promesses en matière d’amélioration des droits des ouvriers, et en particulier sur la réforme de la kafala. Dans un communiqué publié ce jeudi, l’émirat se défend ; le ministère du Travail évoque notamment le système des paiements électroniques récemment mis en place pour rémunérer les ouvriers en temps et en heure. De même, des logements plus décents pour 250 000 travailleurs sont en construction et certains accueillent déjà les nouveaux bénéficiaires. Respectant toutes les normes du Bureau international du Travail, ces nouvelles habitations ont pour vocation de devenir la norme pour toute la force ouvrière du pays.

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