Lancée en Indonésie, une campagne mondiale souhaite surveiller la gestion des lieux saints par l'Arabie Saoudite

mardi, 23 janvier 2018 17:36

alharamain watch 1 262x164Une campagne internationale vient d'être lancée à destination du monde musulman. Nommée "Al Haramain Watch", elle vise à proposer une nouvelle gestion des lieux sacrés musulmans pour éviter à ce que ces derniers soient placés sous la responsabilité d'un seul et même État.

Depuis longtemps, la question de la gestion des lieux saints occupe les esprits du monde islamique. Au début du siècle dernier, les villes de la Mecque et Médine étaient placées sous l'autorité de l’Empire ottoman qui en assurait l'administration depuis environ quatre siècles.

Un contentieux historique

À partir des années 1920 et à la faveur de l'achèvement territorial du troisième État saoudien, ces cités ont brutalement été occupées puis gérées sous le commandement du roi Abdel 'Aziz ibn Saoud. Très vite, ce dernier en a fait une pièce-maîtresse de la légitimation de son trône et une source majeure de revenus à l’heure où l’exploitation du pétrole était balbutiante. Du fait de l’alliance qu’il a scellée dès le début de son règne avec la famille al-Sheykh dont est issu Mohamed ibn 'Abdel Wahhab, fondateur du wahhabisme, les lieux saints musulmans vont progressivement subir une domination idéologique très prononcée. L’une des illustrations de cette nouvelle coloration religieuse sera la destruction de monuments historiques et de vestiges datant des diverses époques dont celle du prophète de l’islam. Il est en effet connu que la doctrine wahhabite abhorre ces survivances du passé dans le sens où elles pourraient être utilisées comme objets de dévotion.

Depuis cette date, et bien que l’Arabie Saoudite ait consenti à des efforts indéniables en terme de modernisation des infrastructures liées à la gestion du flux toujours grandissant des pèlerins aux abords des mosquées sacrées, la question de l’administration de ces lieux emblématiques de la foi musulmane s’est régulièrement posée. À l’époque moderne, l’une des premières expressions qui a souhaité soustraire cette gestion à la puissance saoudienne est venue de l’Iran khomeyniste. Au plus fort des années 1980 et alors que Téhéran ne cachait plus sa volonté d’exporter son expérience révolutionnaire, un premier débat a fait rage dans le monde musulman sur l’identité de ceux à qui devaient revenir la lourde charge de l’administration des lieux saints. Pour Riyad et nombre de pays arabes, il était impensable de soutirer à l’Arabie Saoudite cette mission puisque les deux villes saintes étaient situées sur son territoire. Mais pour l’Iran et certains cercles du monde musulman, cette explication ne pouvait convaincre car d’une part, les lieux sacrés ne peuvent être confisqués par un seul État mais en plus, l’Arabie était de plus en plus critiquée pour sa politique étrangère jugée ouvertement pro-américaine et donc, bien éloignée des principes de l’islam que Riyad prétendait défendre

Une campagne mondiale pour gérer différemment les lieux saints

Cette question de l’internationalisation des lieux saints a pris une nouvelle dimension ces derniers mois à la faveur de la crise dans le Golfe. En effet, la dernière saison du Hadj (Grand pèlerinage) a été l’occasion de voir à quel point les lieux sacrés pouvaient être instrumentalisés dans le cadre d’un conflit politique opposant Riyad à son minuscule voisin. Dès les premiers jours de la crise ouverte avec le Qatar, le journal Le Monde faisait état du fait que l’Arabie Saoudite avait fait pression sur certains pays africains pour que ces derniers lâchent Doha sous peine de voir les aides financières être supprimées ou de fermer le robinet à visas. Ce chantage aux visas a suscité un vif émoi dans l’ensemble du monde musulman car il paraissait impensable pour beaucoup que des fidèles soient privés du droit inaliénable à se rendre au pèlerinage sous prétexte de calculs politiques mesquins. Mais c’est surtout la décision de Riyad d’interdire le Hadj à tous les fidèles venant du Qatar (qu’il s’agisse des nationaux qataris ou des expatriés vivant dans l’émirat) qui a profondément choqué. Pour la première fois dans l’histoire de la péninsule arabique, une nation se voyait retirer le droit de réaliser l’un des piliers de l’islam du fait de dissensions politiques. Ce scandale dure d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui puisque le clivage entre le Qatar et ses voisins reste flagrant et que l’Arabie Saoudite continue, en guise de rétorsion, de barrer l'accès à son territoire à tout ressortissant du Qatar quand bien même ce dernier souhaiterait accomplir le petit pèlerinage (Omra). Malgré les protestations d'ONG ou d'organisations comme le Comité national des droits de l'homme du Qatar, Riyad n'a pas encore fait machine arrière.

Face à cette situation qui discrédite l’image de la famille royale saoudienne comme « gardienne des deux sanctuaires » (titre honorifique que le monarque saoudien s'est arrogé depuis les années 1980), certains milieux dans le monde musulman ont décidé de réagir. Organisés dans divers pays, ces derniers ont décidé de lancer une Campagne mondiale pour surveiller la gestion des lieux saints qu'ils ont nommée "L'instance mondiale de surveillance de l'administration par l'Arabie Saoudite des deux mosquées sacrées" (Al hay'a al-douwaliya limouraqabat idarat al-sa'oudiya lil haramayne). Parmi leurs principaux griefs, l'ambition de soustraire l'administration de ces espaces aux contingences politiques, le souhait de conseiller le pouvoir saoudien dans la rénovation des mosquées sacrées, établir la liste des personnes qui seraient interdites d'effectuer le pèlerinage pour mieux les défendre, etc. Décidée à alerter la société civile au niveau de l’oumma (l’ensemble du monde musulman), cette mobilisation surnommée "Al Haramain Watch" a déjà lancé une campagne sur les réseaux sociaux. De même, elle a organisé ou soutenu diverses activités dans certains pays, comme l’atteste un premier colloque tenu à cet effet en Inde.

Néanmoins, la première grande action en projet est l’organisation d’une grande conférence internationale qui se tiendra le 25 janvier prochain à Djakarta. Avec la présence de plusieurs orateurs et oulémas (dont, semble-t-il, des députés et hauts responsables politiques provenant du monde musulman), cet évènement qui se tient en Indonésie souhaite impulser une nouvelle réflexion afin d’améliorer l’organisation des moments clés du calendrier musulman, en particulier le Hadj. Le choix de l’Indonésie n’est pas anodin puisque ce pays, premier dans le monde musulman en terme de population, souffre d’une “pénurie” de visas pour le Hadj, la demande étant bien supérieure à l’offre que proposent les autorités saoudiennes. Après ce premier colloque, les initiateurs souhaitent en organiser un second qui se tiendra dans un pays européen et poursuivre l'objectif de sortir d'une politisation nuisible des endroits les plus sacrés aux yeux de plus d'un milliard d'invidus de la planète.

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