Entretien avec un expatrié sur la vie dans les émirats du Golfe

samedi, 09 avril 2016 13:45

qatartoursime

Bonjour Badubai. On vous appellera comme ça car c’est votre pseudo sur Twitter dont vous êtes un utilisateur régulier et bien suivi (vous avez 5 000 followers). Vous êtes un jeune citoyen français d’origine "exotique" comme vous aimez l'affirmer non sans humour sur les réseaux sociaux. Né et scolarisé dans l’Hexagone, vous avez décidé il y a quelques années de vous expatrier en atterrissant dans différents pays du Golfe. Pouvez-vous d’abord nous présenter votre parcours ?

Effectivement, français, né et scolarisé toute ma vie en France. C'est après mes études supérieures que l'idée de m'expatrier m'est venue. J'ai vécu dans différents pays arabes. Que ce soit pour l'apprentissage de la langue arabe et des sciences religieuses, ou au niveau professionnel. C'est entre les Émirats Arabes Unis (Dubaï) et à Doha (Qatar) que je vis et travaille désormais essentiellement.

Pourquoi avoir choisi les pays du Golfe en particulier (Emirats et Qatar, notamment) ?

Dubaï est la 1ère destination qui vient à l'esprit quand on pense au Golfe pour plusieurs raisons. Déjà, ce sont ceux qui savent le mieux se vendre, et de très loin. Ensuite, d'un point de vue géographique, Dubaï est un hub qui permet d'aller très facilement dans tout l'Orient, ouvert sur l' Asie, avec des compagnies aériennes extrêmement efficaces telles qu'Emirates, Etihad ou Fly Dubai. En ce qui concerne le Qatar, l'effet coupe du monde 2022 a évidemment suscité une effervescence économique quand Dubai avait un peu plus de mal à sortir de la crise. Rappelons que Dubaï n'a pas de pétrole contrairement à Abu Dhabi alors que le Qatar est le 1er exportateur de gaz liquéfié au monde. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes structures économiques. Ni même politique d'ailleurs.

À titre personnel, après mes études c'est Dubaï qui m'attirait le plus par rapport à tous les autres pays car alliant, selon moi (à l'époque), tous les critères qui me semblaient importants notamment religion, sécurité, infrastructures modernes, dynamisme économique.

Est-ce que l’actualité pesante en France autour de l’islam a joué dans votre décision de ne plus vivre dans l’Hexagone ?

Alors non. Pour ma part, à l'époque dans les années 2000, il y avait déjà du racisme ici et là ainsi que de l'islamophobie, des difficulté de trouver du travail avec ou sans diplômes. Mais cela n'avait rien à voir avec 2016 selon moi. Aujourd'hui, nous avons clairement une islamophobie institutionnalisée, un racisme d'État qui contamine évidemment la société civile, une libéralisation de la parole raciste sans précédent. Un niveau de surveillance en ligne jamais atteint, une loi travail aux conséquences sociales catastrophiques, un débat sur la déchéance de nationalité qui frise la folie coloniale d'antan ou des perquisitions arbitraires, tout cela n'existait pas lorsque je suis parti. 

Si je vivais en France aujourd'hui avec ce climat est-ce que je partirais? Peut-être. Mais après des années d'expatriation, de réflexion, je ne pense pas que partir aurait été la bonne réponse.

Quels enseignements tirez vous de votre expérience pays du Golfe ? Beaucoup les idéalisent en en faisant des pays qui conjuguent confort matériel et convergence culturelle. Vous souscrivez à ce cadre présenté par certains comme harmonieux voire idéal pour un jeune musulman français ?

Je souhaiterais insister sur le fait que mes mots ne sont pas une vérité. Ils sont  l'aboutissement de plusieurs années de réflexions lors de différents pays visités et qu'il faut me lire comme un retour d'expérience personnel uniquement et uniquement comme tel. Je sais qu'il y a de plus en plus de lecteurs sur L' Observatoire du Qatar et c'est une responsabilité de témoigner. 

Il y a eu un cheminement dans ma réflexion et dans mes observations. J'ai, comme beaucoup, idéalisé le Golfe avant de m'y installer. À tous les niveaux, matériel ou spirituel. Je ne pense pas que le Golfe puisse-t-être qualifié d'harmonieux ou d'idéal car pour moi, être en harmonie, apaisé, spirituellement ou matériellement, c'est déjà être chez soi. Or, sans visa de travail dans le Golfe, vous avez 30 jours pour quitter le pays. Cette incertitude permanente pèse chez énormément de personnes. En revanche si l'harmonie se définit par trouver des minarets à chaque coin de rue, des salles de prière dans les centre commerciaux, le vendredi non travaillé pour aller à la mosquée et de la viande halal (théoriquement) partout, alors oui, tout ceci n'est pas une légende. 

Les hauts revenus ne sont pas non plus une légende. Mais hauts revenus = grosses dépenses. Tout est pensé pour vous faire dépenser beaucoup. Doha et Dubai sont parmi les loyers les plus chers au monde.  

Un petit mot tout de même sur le "Qatar Bashing". Il ne fait aucun doute que le Qatar comme d'autres pays du Golfe font l'objet de campagnes de dénigrement extrêmement organisées. On a d'ailleurs appris que des sociétés israéliennes avaient signé des contrats pour ternir l'image du Qatar, quitte à y ajouter exagérations, mensonges et calomnies. Cependant, il n'empêche que la condition des travailleurs sud asiatiques mais plus généralement de tous les migrants reste un vrai problème. Oui énormément d'efforts sont faits, des nouvelles villes ultra modernes poussent pour les ouvriers, il y a des lois. Mais elles ne sont pas toujours appliquées malgré les sanctions, amendes et les listes grandissantes d'entreprises placées sur liste noire. Pour être le plus juste possible, il ne serait pas honnête de ne souligner que la responsabilité du Qatar. Elle est partagée avec ces entreprises occidentales qui signent de juteux contrats en bénéficiant de cette même main d'oeuvre. Des multinationales françaises leader dans leur secteur qui sont bien silencieuses sur les salaires et  conditions de travail de ces migrants. 

L’environnement économique au Qatar est-il propice à ce que des jeunes de France puissent prétendre y postuler dès lors qu’ils ont un bac+ 5 en poche ?

Le cas du Qatar est assez unique en ce moment. Il est tiraillé entre 2 phénomènes complètement opposés mais bien réels. D'un côté, comme ses pays voisins, une chute historique du baril de pétrole ayant divisé par 3 les ressources du pays en très peu de temps. Des milliers de personnes sont licenciées, le prix de l'essence à la pompe a grimpé de 35% il y a quelques semaines (il reste faible pour nous français mais il faut voir cela comme toute autre augmentation de biens courants augmentant de 35% sans prévenir). Mais de l'autre côté, il y a une certaine coupe du monde prévue pour 2022. Et paradoxalement, dans le même pays, dans le meme contexte économique, des milliers de personnes arrivent chaque jour pour les différents chantiers titanesques en cours: trains, métros, autoroutes, stades de foot, hôpitaux sont en train de sortir du désert. Et la coupe du monde reste, malgré les difficultés de la crise, la priorité des priorités. 

Je dirais que oui, bac+5 est le niveau le plus prisé. Cependant, cela dépendra aussi de votre secteur. Comme vous l'aurez compris, si vous êtes spécialisé dans l'ingénierie, la construction etc, foncez. Si vous êtes plus dans les services, la communication, le marketing, l'informatique, ce sont des domaines qui subissent la crise de plein fouet. Et la concurrence indienne à compétences égales pour des salaires bien inférieurs est rude. En plus de CV affluant du monde entier, car le monde entier souhaite un poste dans cette région du monde.

 Que diriez vous à des jeunes de France qui souhaiteraient s’y expatrier ?

Que s'ils sont jeunes, célibataires, sans la responsabilité d'une famille, de ne surtout pas perdre une seconde et d'aller à la découvertes de tout ce que vous pourrez découvrir. Ne soyez pas trop exigent en début de carrière au niveau de vos prétentions salariales. Faites vos preuves, gagnez la confiance des autres, développez votre réseau et surtout, questionnez-vous bien en amont sur les raisons vous poussant à vous expatrier. Il faut que vous ayez un plan. Fleur à la bouche sans trop savoir est rarement productif. Si vous partez pour fuir un climat, c'est rarement constructif non plus. Il faut savoir où vous allez, être pragmatique, déterminé, faire toutes les causes puis s'en remettre à Dieu. (En commençant par la prière de consultation)

Enfin, quel regard portez-vous sur la France d’aujourd’hui ? Souhaitez-vous y rentrer un jour et si oui pourquoi ?  

Un regard triste et inquiet. Mais en même temps un petit sourire confiant en l'avenir. Parce-que j'ai compris après avoir parcouru le monde que c'est en se retroussant les manches depuis le bas que les plus belles choses arrivent. J'ai une pensée pour mes soeurs et frères humiliés dans un environnement difficilement supportable. Doubles victimes de barbares criminels, et de récupérations politiciennes. Dans le Golfe, il est très difficile de s'engager humanitairement. La frontière entre société civile et État est bien trop fine. Ce qui est dangereux sur le long terme car la responsabilité de donner par exemple, ne disparaît pas parce que le bureau de Qatar Charity en face de la rue donne des millions aux démunis, donc notre petit billet serait ou apparaîtrait insignifiant. Attention, si Allah nous oblige de donner, ce n'est pas qu'une question de montant. C'est de donner régulièrement pour ne pas oublier que l'opprimé, que le démuni, que l'être en souffrance existe, malgré notre confort. On n'externalise pas nos obligations humaines, religieuses, citoyennes. Le confort du Golfe, en cela, est très dangereux. Car il peut facilement anesthésier si on ne reste pas ferme dans ses convictions. 

Si je souhaite rentrer? la réponse semble être dans la question. La fatigue physique  (nous sommes loin des 35h), morale (celle de tout migrant avec ses pointes de nostalgie), la distance familiale, se dire qu'au fond, peut-être qu'on serait plus utile chez soi que chez les autres. Humblement, rejoindre toutes celles et ceux qui luttent à leur niveau et en fonction de ce qu'ils savent faire pour rendre la France un peu meilleure, beau projet. Idée à creuser. Mais rappeler le problème des migrants dans le Golfe, ce n'est pas pour autant rester silencieux sur ce qui se passe en France, la loi travail et sa précarité en vue, ces familles qui vivent encore en 2016 sur le périphérique parisien ou ces milliers de femmes, d'enfants et de bébés qui meurent chaque jour en mer méditerranée car souhaitant fuir un pays qu'on a souvent nous même participé à mettre à feu et à sang.

 

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