Engagé dans cinq procès, Mohamed Morsi a été pour la première fois condamné à mort le 16 mai dernier dans le dossier dit "des évadés de prison", une obscure affaire dans laquelle la justice lui reproche d'avoir quitté sa cellule lorsque le pays était plongé dans sa période révolutionnaire de janvier 2011. Confirmée par le mufti du pays, cette sentence qui a aussi été infligée aux principaux cadres des Frères musulmans peut être appliquée à tout moment. Sur d'autres procédures comme celles dites "de l'espionnage en faveur du Qatar", Mohamed Morsi risque également des peines maximales. Ce dernier procès qui illustre la tension diplomatique entre Doha et Le Caire devrait d'ailleurs reprendre le 21 juillet.
Une fuite en avant non surprenante
La question est donc de savoir pourquoi le régime égyptien s'apprêterait à exécuter l'ancien président dans un moment symbolique aussi fort que la fête de l'Aïd el fitr qui marque la fin du Ramadan. Même si aucune déclaration officielle n'est venue confirmer cette information, un faisceau d'indices indique que cette hypothèse est plus que plausible. Il y a d'abord le fait que la dictature égyptienne semble de plus en plus déterminée à éradiquer les Frères musulmans du paysage national. Cette volonté date du coup d'Etat de juillet 2013 et du massacre de Rabi'a al adawiya perpétré le 14 août 2013 au cours duquel 800 opposants ont été éliminés en une seule journée. Comme le rappelle le journaliste Alain Gresh, ce "mercredi noir" du Caire "restera sans doute dans les annales comme le plus grand massacre de manifestants commis en un jour par des forces de répression depuis celui de Tiananmen, en juin 1989, à Pékin".
Cette stratégie d'éradication s'est poursuivie dans le temps avec les procès de masse où plusieurs centaines d'opposants ont été condamnés à la peine capitale jusqu'à la liquidation de treize membres des Frères il y a quelques jours. Cette détermination à écraser toute parole contestataire est même inscrite dans les gênes du pouvoir égyptien puisque dans la foulée du coup d'Etat, l'un des généraux de la police déclarait dans une interview donnée au journal Le Monde : « Nous sommes 90 millions d’Égyptiens et il n’y a que 3 millions de Frères musulmans. Il nous faut six mois pour les liquider ou les emprisonner tous. Ce n’est pas un problème, nous l’avons déjà fait dans les années 1990. » Devant un tel niveau de déliquescence du débat public, l'un des hommes politiques les plus en vue d'Egypte, Aymen Noor, a décidé de quitter le pays en déclarant que l'Egypte était au bord de l'implosion.
L'autre élément qui indique que la mise à mort de Mohamed Morsi est imminente est la succession des faits et déclarations de ces derniers jours. Depuis l'attentat troublant qui a emporté la vie du procureur général du pays le 29 juin dernier, les autorités multiplient les déclarations revanchardes et la presse soumise au régime s'en donne à coeur joie pour réclamer la pendaison des fautifs qu'elle a immédiatement assimilé à l'organisation "terroriste" des Frères musulmans. Le dictateur égyptien lui-même, devant les familles des victimes, n'a laissé peu de doute sur son agenda en affirmant sur un ton martial que les peines allaient être "mises à exécution".
Profitant de l'émoi général suscité par l'assassinat du procureur dont certains observateurs attribuent la paternité au pouvoir lui-même qui en a fait la justification à une accélération de la répression, Abdel Fettah Al Sissi semble engagé dans une fuite en avant qui répond à un objectif clair. Il lui faut noircir la confrérie quitte à lui attribuer la responsabilité directe des violences qui déchirent le pays tout en l'assimilant à l'Etat islamique qui a ces derniers jours multiplié les attaques sanglantes dans le Sinaï. Dans ce double mouvement d'une diabolisation de la confrérie et de l'amalgame avec Daesh, le régime, aidé par des médias aux ordres, souhaite non seulement radicaliser une partie de l'opinion qui lui est aveuglément dévouée et rendre impossible l'émoi de solidarité qui pourrait émerger en faveur de l'ex-chef d'Etat et de son organisation. Cette attitude a même poussé les autorités égyptiennes à condamner à mort des personnalités connues pour leur engagement contre le Coup d'Etat et résidant à l'étranger comme le cheikh Youssouf Al Qaradawi, réfugié au Qatar et président de l'Union mondiale des Oulémas. Cette attitude d'intransigeance face aux opposants et à tous ceux qui ne seraient pas sur la voie du régime s'est également illustrée lors de l'incident survenu avec le Cheikh Mohamed Jibril. Ce récitateur du Coran de nationalité jordanienne très connu dans le monde arabe avait guidé une prière dans une des grandes mosquées du Caire et son invocation contre "les dirigeants injustes" lui avaient valu une vague de réprobations publiques et de sévères complications pour quitter le pays.
Des conséquence incalculables
Les conséquences d'une telle exécution seraient incalculables. Elle donnerait le signal d'un nouveau cycle de violences dont personne ne peut prédire l'issue. C'est peut être d'ailleurs le dessein du régime : pousser à la radicalisation l'organisation des Frères musulmans en accentuant la répression et en pendant son leader. Ce serait le meilleur moyen pour se retourner auprès des capitales occidentales en affirmant qu'il est temps d'en finir avec une organisation sectaire qui pratique un terrorisme qui n'a rien à envier à celui de Daesh.
Nul doute que cette machine à manipulation pourrait tourner à plein régime dans certains pays. Hormis la Turquie, le Qatar et quelques pays d'Afrique ou d'Europe du Nord, peu risquent de s'émouvoir réellement de cette descente aux enfers que semble adopter le Raïs égyptien. Pire, certains pays du Golfe, connus pour leur aversion aux Frères musulmans et fers de lance de la Contre-Révolution souhaitant mettre un terme à la parenthèse des "Printemps arabes", pourraient même féliciter Le Caire pour son geste. C'est le cas des Emirats arabes unis qui demeurent les principaux bailleurs de fonds du régime putschiste et qui rejoindraient Israël dans la satisfaction de voir la confrérie décimée.