L'Arabie Saoudite à l'épreuve de Mohamed ben Salman

mercredi, 08 novembre 2017 12:03

Mohammad bin Salman Al SaudLa situation en Arabie Saoudite s’est brusquement tendue. Samedi 4 novembre, les autorités ont arrêté des dizaines de hautes personnalités dont des ministres et des princes de la famille royale. Décidé au plus haut sommet de l’Etat, ce tour de vis clôt une entreprise de monopolisation du pouvoir par un clan de la dynastie et annonce l’avènement d’une nouvelle ère pour le royaume wahhabite.

La liste des dignitaires mis à pied donne une idée de l’étendue du coup de filet opéré en une soirée. Parmi les plus hauts placés, on trouve d’abord d’éminents représentants de la famille royale comme Met’ab ibn Abdallah qui occupait le poste névralgique de chef de la Garde nationale, ou son frère Turki qui avait été gouverneur de la province de Riyad.

Parmi les ministres et responsables militaires, on compte notamment Adel al-Faqih, en charge de l’Economie et de la Planification, Abdallah Sultan, commandant en chef de la Marine nationale ou encore Amr Al-Dabbagh, ancien gouverneur de l'Autorité d'investissement. Signe que l’épuration a concerné tous les milieux, Walid Ibrahim, patron du puissant groupe de média MBC – pourtant aligné sur les positions du palais – ainsi que l’influent Khalid al-Tuwayjri sont également concernés. Cibler ce dernier, pourtant récemment réhabilité après un bref moment de mise à l’écart et considéré comme l’éminence grise à l’époque du roi Abdallah, témoigne de l’intensité des luttes de pouvoir qui sont aujourd’hui à l’œuvre à Riyad. Mais c’est l’inculpation du très médiatique prince - et l’une des plus grandes fortunes mondiales - Walid ibn Talal qui fait dire à beaucoup d’observateurs que la vague d’arrestations est sans précédent dans l’histoire du pays. Elle annonce, sans conteste, un chamboulement inédit des rapports de force au sein de la dynastie.

De l’alibi de la lutte anti-corruption

Officiellement, l'opération de police intervient à la suite de la création par le roi Salman d’un « comité anticorruption chargé de recenser les délits et abus de biens publics ». Présidée par son fils, l’omnipotent Mohamed ben Salman dit « MBS », cette structure a pour objet de lutter contre la corruption jugée endémique dans le royaume et préjudiciable à l’intérêt national. Mais derrière ces justifications de circonstance répétées en boucle dans les médias officiels, se cache une sourde rivalité qui oppose le clan du roi Salman à tous ceux qui, dans la famille al-Saoud, expriment la moindre désapprobation à l’entreprise d’accaparement du pouvoir à l’œuvre depuis le 21 juin dernier.

Car depuis cette date qui a marqué la propulsion de MBS au poste de prince héritier, le royaume est à la croisée des chemins en matière de leadership. Il faut en effet bien comprendre la période transitoire qui s’est ouverte avec cette nomination car c’est la première fois dans l’histoire du royaume où un prince de la « troisième génération » se hisse à un tel niveau. Depuis 1953 en effet et la mort de Abdel Aziz ibn Seoud, le pays a successivement été dirigé par des fils du fondateur. Six se sont ainsi succédés et, comme les monarques ne sont pas éternels, le règne du roi Salman débuté en janvier 2015 sera le dernier occupé par un descendant direct du prestigieux aïeul. Depuis des années, le pays s’attend donc à voir un nouveau souverain de la troisième génération prendre un jour les commande de l’Etat. Sauf qu’on imagine qu’au milieu de centaines de prétendants, le poste tant convoité fait l’objet de toutes les attentions et que certains sont désormais prêts à tout pour s’en assurer le monopole.

Zone de turbulences

C’est dans ce contexte de compétition exacerbée qu’il faut lire les derniers événements. Depuis le mois de juin en effet, tout est fait pour paver la voie à MBS et lui assurer l’accès à la magistrature suprême. Cependant, la manoeuvre n’est pas du goût de toutes les branches de la dynastie, certains exprimant de vives réserves de voir un clan confisquer à ce point les leviers du pouvoir. Après avoir brutalement démis son cousin Mohamed ben Nayef du poste de numéro deux dans l’ordre de la succession et mis au pas les oulémas réfractaires en septembre dernier, celui que l’on surnomme « le Féroce » vient donc, avec ce coup de filet, d’écarter tous ceux qui pouvaient faire obstacle à son rêve de grandeur. Pour certains observateurs, l’opération consistant pour le roi Salman à céder sa place de son vivant à son fils n’est désormais qu’une question de temps.

En assurant cette transition de son vivant, Salman parviendrait ainsi à réaliser le rêve qu’ont toujours caresser ses prédécesseurs : verrouiller le trône de la première puissance pétrolière de la planète à sa progéniture. Si cette entreprise venait à se confirmer, le pays sera pour la première fois dirigée par un jeune prince inexpérimenté de trente deux ans au bilan mitigé. Si, sur le plan interne, la modernisation à marche forcée a accouché d’avancées notables comme l’autorisation donnée aux femmes de conduire, il n’est en pas de même en matière de politique étrangère. Sur ce registre, le bilan de celui vers qui tous les regards se tournent se résume au lancement d’une guerre effroyablement meurtrière au Yémen, d’un blocus du Qatar qui vire au fiasco et d’un alignement du pays sur un axe joignant Abou Dhabi, Le Caire et Tel Aviv.

La première version de cet article est paru sur le site de Middle East Eye.

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