La succession s’est pour le moment traduite par une action diplomatique plus discrète et surtout un périmètre d’action revu à la baisse. A ce titre on peut citer un soutien moins franc à des régimes devenus impopulaires ou en proie à des difficultés post-révolutionnaires (Tunisie), certaines factions en Syrie, ainsi qu'aux Frères musulmans. Cela dit, cette action plus discrète ne signifie pas retrait mais plutôt mutation de l’action diplomatique avec un retour vers des politiques plus traditionnelles pour le Qatar telles que la mise en œuvre de son soft power grâce à ses atouts historiques : les médias – avec récemment le lancement d’Al-Jazeera Etats-Unis – le financement de nouveaux secteurs économiques et de capacités éducatives, ou encore le sponsoring d’évènements culturels, artistiques et sportifs haut de gamme. Dans les mois puis les années à venir, ces aspects seront fondamentaux et remis au centre de l’action étrangère qatarie, notamment dans la perspective du mondial de football de 2022.
Par ailleurs, lors du premier discours à la nation peu après son arrivée au pouvoir fin juin 2013, l’émir Tamim a mis l'accent sur la politique intérieur du pays – parlant peu de la Syrie – en insistant sur le développement du Qatar. On peut y voir la double influence de l’hostilité du contexte régional mais aussi des besoins de politique intérieure avec un nouvel Emir qui souhaite construire sa relation avec ses sujets. Cependant, les fondamentaux de la politique extérieures de l’émirat ont été implicitement reconduits, notamment sur la politique arabe avec le soutien à la question palestinienne, mais aussi avec la relation importante avec les Etats-Unis qui ne pourra que peu évoluer tant les deux pays ont besoin les uns des autres.
Au niveau des relations avec l’Arabie Saoudite – dont l’émir Tamim est réputé plus proche que son père – le Qatar a revu à la baisse sa rivalité avec le royaume et lui laisse reprendre le leadership dans les dossiers régionaux (comme en Syrie ou en Egypte). La volonté d’apisement a été illustrée par le prince Tamim, qui a réservé sa première visite officielle à l’étranger à Riyadh ou encore le nouveau ministre des affaires étrangères qui a été une des premières personnalités politiques arabes à se rendre en visite officielle en Egypte malgré le départ forcé de Mohamad Morsi, président démocratiquement élu et soutenu par Doha.
La politique régionale qatarie s’est donc adoucie – ce qui laisse plus de champ à l’Arabie Saoudite – en raison notamment de l’enlisement du conflit syrien, de dérives djihadistes en Libye, ou de l’échec des Frères Musulmans en Egypte.
2. Que dire aujourd'hui de la place et du rôle de l'ancien Premier ministre Hamed ben Jassem? Est-il définitivement hors du champ politique ou garde-t-il une influence au sein de l'appareil d'Etat?
Hamad bin Jassim est l'ancien premier ministre du Qatar – du 3 avril 2007 au 26 Juin 2013 – et l'ancien ministre des Affaires étrangères – du 11 Janvier 1992 au 26 Juin 2013. Il fut remplacé aux Affaires étrangères par Khaled Al-Attiya et par Abdallah Ben Nasser Al Thani en tant que Premier ministre. Le départ de ce flamboyant diplomate n’était pas attendu aussi vite après le départ de l’émir Hamad mais il s’explique à la fois par le souhait de changer le style de la diplomatie de Doha mais aussi par la volonté d’éviter les rivalités entre le nouvel émir et l’ex-Premier ministre.
Hamad Ben Jassem est pour le moment assez discret, notamment après le fait qu’il ait été aussi écarté de son poste de directeur du Qatar Investment Authority (QIA) – le fonds souverain du Qatar – ce qui laisse penser qu’il doive désormais prendre du champ par rapport à la politique qatarie. Le QIA (Qatar Investment Authority) a d’ailleurs été largement remanié avec des hommes de confiance du nouvel émir qui sont désormais aux postes clés du fond. Ainsi la vice-présidence du conseil d’administration du QIA a été confiée au demi-frère de l’émir, le prince Abdallah Ben Hamad Al-Thani tandis que le ministre des Finances – Ali Chérif Al-Imadi- et celui de l’Economie et du Commerce - Ahmed Ben Jassem sont également membres du conseil d’administration. Ahmed Mohamed Ahmed Al-Sayed a cependant été nommé président exécutif du QIA –il était l’un des membres de l’ancien conseil d’administration – mais il est un fidèle d’HBJ, ce qui fait dire à certains qu’il a toujours un pied dans QIA. Cela pourrait aussi laisser penser que l’ex-Ministre des Affaires étrangères de l’émirat à la perle va désormais se concentrer sur les affaires – étant l’un des hommes les plus riches de la péninsule. A moyen ou long-terme cependant, il sera très certainement de nouveau un acteur de la scène internationale tant ses compétence de diplomate et son réseau sont grands.
3 - Comment jugez-vous la nouvelle relation entre la France et le Qatar à l'heure où du nouvel émir? Les relations vont-elles se consolider? Sur le terrain militaire y-at-il une relle chance pour la France de vendre le rafale par exemple?
Les relations entre le Qatar et la France sont des relations fortes et vont le rester. Les liens entre les deux pays dépassent désormais les dirigeants et si ces dernières peuvent être plus personnelles avec certains chefs d’Etat – comme sous la présidence Sarkozy – les intérêts sont tels que les Etats français et qatari sont liés par l’importance des relations bilatérales commerciales, militaires, culturels ou politiques. Bien sûr en relations internationales ces dimensions se mélangent souvent et lors de sa visite officielle au Qatar de juin 2013, le président de la République française a abordé le dossier du Rafale. Le Qatar est en effet l’un des pays les plus avancés pour un éventuel contrat de vente de l’avion de chasse français et l'armée de l'air qatarie a déjà effectué des essais techniques de l'avion français. Les négociations se poursuivent cependant et Doha pourrait être aussi intéressé par des concurrents de l’avion de combat français, qu’ils soient européens ou américains. Et si on se sait pas pour le moment dans quel sens va pencher le Qatar – que ce soit pour la commande entière de 72 avions ou même une première livraison de 36 aéronefs – d’autres entreprise entreprises françaises que Dassault sont aussi en négociation pour des contrats d’armement avec Doha tels que le constructeur naval DCNS ou Thales. En ce sens, les liens de coopération militaire qui unissent les deux Etats sont très forts, la France étant le premier fournisseur des forces armées du Qatar en équipant environ 80% de son matériels et il est donc très probable que pour remplacer ses avions français – le Qatar possède déjà 12 Mirage 2000-5 – et renforcer sa flotte, Doha passe une partie de sa commande à Paris.
Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne et auteur de « Le Qatar aujourd’hui », Editions Michalon, mars 2013