Je rappelle que tous ces investissements se font dans le cadre de la loi française et qu’ils ne transgressent aucune disposition réglementaire. Le fantasme autour du rachat de la France par le Qatar est un faux procès. Je ne nie pas les problèmes dans cet émirat (condition ouvrière, manque de libertés etc) mais j’ai l’impression qu’on dépasse les limites dans le traitement par certains médias du sujet « Qatar ». Je pense que certains ont intérêt à salir l’image de ce pays et en profitent voire en rajoutent. D’ailleurs, quand c’est la Russie ou la Chine qui investit ici, on ne fait pas autant de bruit. Et pourtant, les manquements au droit sont tout aussi flagrants là-bas. Alors pourquoi on en parle dans un cas et pas dans l’autre ?
En août dernier vous avez signé une tribune assez remarquée « Halte au Qatar-bashing » dans laquelle vous écriviez « Un petit État souhaite injecter de l'argent pour aider des PME, y compris dans les quartiers populaires, et voilà que surgit le spectre de l'islamisation. Quand la Chine rachète des vignobles, le vin devient-il taoïste ou confucéen ? ». Selon vous, la critique répété et obsessionnelle du Qatar est parfois un prétexte pour répandre un discours islamophobe. N’est-ce pas aller un peu loin dans l’analyse ?
Non, je ne crois pas. Il y a une forme d’assimilation de l’islam au terrorisme en Occident et comme le Qatar est assimilé à l’islam, le raccourci est vite fait dans l’esprit de beaucoup. Cette équation est malheureuse car elle ne rend pas compte de la réalité que j’ai pu constater en me rendant dans la région. Par exemple, on fait souvent le procès du Qatar comme étant un Etat wahhabite où le rigorisme serait le même qu’en Arabie saoudite. Grosse erreur et je vais pour illustrer mon propos vous parler de la condition de la femme. J’ai vu là-bas des femmes sans voile, des femmes cultivées aller à l’université et travailler, des Qatariennes conduire de beaux véhicules, être main dans la main avec leur mari et même fumer des chichas dans des cafés ! Ces comportements ne faisaient pas l’objet d’une disqualification générale de la société. On est loin du wahhabisme étroit qu’on nous vend parfois. Ceci dit, il faut juste rappeler que les Qatariennes développent une voie d’émancipation qui est la leur et qui correspond à leur cadre culturel et sociétal. On n’est pas obligé de s’habiller en mini-jupe pour être libérée, l’essentiel étant de revendiquer des traitements égalitaires dans le travail, l’enseignement et la vie en générale. Et au Qatar, je crois savoir que la condition féminine s’améliore grandement.
Il reste quand même de gros efforts à faire au Qatar pour se revendiquer comme un authentique modèle pour les pays du Golfe, vous ne croyez pas ? D’autant que l’agenda du pays sur certains endroits (monde arabe notamment) n’est pas très clair. Que répondez-vous à ceux qui l’accusent de financer l’islamisme radical jusque dans les banlieues françaises (Marine Le Pen notamment) ?
Permettez-moi d’abord de vous rappeler que j’ai mentionné qu’il y avait des critiques à faire à l’égard du pays. Mais dîtes-moi quel pays n’est pas critiquable ? Quel pays au monde ne défend pas ses intérêts ? Aucun pays n’est parfait et le Qatar n’est pas plus critiquable qu’un autre. Quant à Marine Le Pen, ces accusations sur le financement par le Qatar de l’islamisme radical en banlieue relève du délire. Malheureusement, son procès permanent sur ce pays a déteint sur beaucoup de personnalités politiques et le Qatar est souvent frappé de malveillance dans son implication sur le territoire français. L’un des exemples le plus flagrant et le plus malheureux a été le fonds initialement destiné aux banlieues. Il s’agissait au départ de prêter main forte à des projets initiés par des jeunes de quartier (sans aucune mention de l’origine ethnique ou confessionnelle des prétendants). Ce projet a été récupéré et instrumentalisé de manière sidérante. Ceux qui ont agité le chiffon rouge de l’islamisation n’ont pas crié de la même façon quand le Qatar renfloue les caisses des grands groupes du CAC 40. C’est cette hypocrisie que je déplore : l’argent du Qatar est bon pour permettre aux entreprises françaises de faire du chiffre mais pas pour aider les jeunes entrepreneurs qui souhaitent sortir de la galère. Toute cette atmosphère un peu lourde est le résultat de cette suspicion généralisée autour de l’islam. Le Qatar, comme la banlieue, en font les frais. Il est grand temps de mettre fin à ces réflexes réducteurs. Le Qatar est un partenaire comme les autres et il faut le traiter avec la même grille que les autres partenaires économiques de la France.
Sihem Souid est écrivain, chroniqueuse et chargée de mission auprès de la ministre de la Justice.