Jeudi, Nicolas Sarkozy s'est présenté en recours pour sauver la France du naufrage dans un entretien non assumé à l'hebdomadaire de droite Valeurs actuelles. L'affaire fait un flop, et deux jours plus tard, le quotidien britannique Financial Times lui prédit un avenir dans le business. Dans un article du 9 mars, cosigné par son directeur de la rédaction Lionel Barber, le FT explique que le Qatar a proposé à l'ancien chef d'Etat d'apporter 500 millions d'euros dans un fonds qui investirait en Espagne, au Maroc et au Brésil.
Bref, les pays où Nicolas Sarkozy se sent bien : l'Espagne, où il a l'amitié de l'ancien premier ministre conservateur José Maria Aznar et les réseaux de son ami Alain Minc ; le royaume du Maroc, son lieu de villégiature ; le Brésil, le pays de l'ancien président Lula et du père naturel de sa femme, Carla Bruni.
"Il reçoit beaucoup de propositions, mais il n'en a tranché aucune", confirme l'entourage de Nicolas Sarkozy, qui lâche que le quotidien des affaires de la City essaie depuis des mois d'écrire un article sur le sujet. Cette fois-ci serait-elle la bonne ? Nicolas Sarkozy n'aurait pas un rôle opérationnel, mais serait apporteur d'affaires, un homme de contacts. Son ancien conseiller Alain Minc indique que "Nicolas Sarkozy n'a rien décidé et, de toute façon, il n'a pas que la possibilité indiquée par le Financial Times". Selon lui, "l'article est erroné en ce qu'il se concentre exclusivement sur le Qatar".
AVEC LE QATAR, DES LIENS ÉTROITS
Reste que le président a des liens étroits avec le Qatar, s'y est rendu en décembre 2012 pour une conférence sur le sport, et l'émir du Qatar était devenu un de ses alliés politiques, payant une indemnisation qui s'apparentait à une rançon pour la libération des infirmières bulgares emprisonnées par Kadhafi en 2007.
Pour Nabil Ennasri, chercheur, auteur de L'Enigme du Qatar, à paraître le 13mars (IRIS-Armand Colin, 220p., 19 euros), "il existait entre Nicolas Sarkozy et le Qatar une grande connivence sur nombre de dossiers diplomatiques, dont le plus connu est le dossier libyen. Nicolas Sarkozy voulait privilégier le Qatar pour accéder au grand marché économique du Golfe. La relation s'est fortement personnalisée entre le couple Sarkozy et l'émir".
Il ajoute: "Le premier ministre et le prince héritier orientent les décisions du fonds souverain qatari. L'argent coule à flots. C'est dire que les 500 millions d'euros qui seraient affectés au fonds d'investissement dirigé par M.Sarkozy représentent une somme relativement modeste rapportée aux capacités financières du Fonds souverain." Selon M.Ennasri, "il ne serait pas étonnant que cette lune de miel se concrétise dans un projet financier commun. Le projet de ce fonds d'investissement est vraisemblable, mais cet avenir financier de M.Sarkozy suppose qu'il quitte la vie politique française. La vraie question est là."
"Si j'ai bien compris ce qui circule dans la presse, c'est la possibilité d'une responsabilité dans un fonds qui pourrait être utile. Et je crois que c'est ce qui l'anime, c'est ce qui l'a toujours animé: il veut être utile", a résumé Claude Guéant sur "Tous politiques", l'émission de France Inter, du Monde et de l'AFP.
Après les conférences rémunérées, qui sont l'apanage des Tony Blair, Mikhaïl Gorbatchev ou Bill Clinton, Nicolas Sarkozy poursuivrait la voie de Gerhard Schröder, recyclé promptement chez les Russes Gazprom par l'intermédiaire de son ami Vladimir Poutine. Sauf que Gerhard Schröder avait fini sa carrière politique en Allemagne après un second mandat, tandis que Nicolas Sarkozy n'a pas accompli ce second mandat de réforme, sèchement battu à l'élection présidentielle de mai2012 par François Hollande. Alors, face à ce goût d'inachevé, il se voit en recours.
UN DÉJEUNER AVEC PATRICK BUISSON
En tout cas, une certaine droite voudrait voir en lui l'homme providentiel, à l'instar de ceux qui prétendaient que le pouvoir socialiste ne tiendrait pas dix-huit mois en 1981. Son ex-conseiller Patrick Buisson, grand promoteur de la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, est de ceux-là. L'ancien journaliste issu de la droite maurrassienne a organisé fin février un déjeuner avec Nicolas Sarkozy, Yves de Kerdrel, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, et le vice-président de l'hebdomadaire, Jean-Claude Dassier.
L'affaire a donné lieu à un long article truffé de citations, qui a agacé les adversaires de Patrick Buisson. Dans la conversation, Nicolas Sarkozy se pose en recours, au cas où "le pays sera[it] tenaillé entre la poussée de l'extrémisme de gauche et celui de droite". "Dans ce cas, effectivement, je serai obligé d'y aller. Pas par envie. Par devoir. Uniquement parce qu'il s'agit de la France", explique l'ancien président de l'UMP à Valeurs actuelles. Il fait mine de ne pas avoir d'ambition immédiate : "Franchement, est-ce que j'ai envie de revenir? Franchement non."
En réalité, au dire même de ses proches, Nicolas Sarkozy commet des erreurs dans cet entretien, où il compare la traçabilité de la viande et celle des enfants conçus par gestation pour autrui, se pose en victime avec son épouse, Carla Bruni –"Sans compter la manière dont ils ont traité ma femme. Interdite de chanter pendant cinq ans"– et critique l'intervention au Mali. "Que fait-on là-bas, sinon soutenir des putschistes et tenter de contrôler un territoire trois fois grand comme la France avec 4000 hommes ?", déclare M.Sarkozy. Claude Guéant a corrigé sur France Inter : "Je suis persuadé que si Nicolas Sarkozy avait été président de la République, l'armée française serait également intervenue au Mali."
Le retour est donc raté. L'entourage de Nicolas Sarkozy explique que la nature a horreur du vide, et que le recours Sarkozy à l'UMP n'a rien d'évident. "Je crois qu'aujourd'hui, il n'est pas dans son état d'esprit de revenir à la vie politique", a résumé Claude Guéant, tandis qu'Alain Minc a précisé sur France 5 : "2017, c'est très loin, et évidemment il est [présent] dans le décor."
Pas plus que Lionel Jospin, faussement reclus à l'île de Ré, après la défaite du 21 avril 2002, Nicolas Sarkozy ne parvient à gérer son silence. "Il avait réussi quelque chose de nouveau chez lui: la présence par le silence", a déclaré Alain Minc, qui l'a invité à continuer. En réalité, Nicolas Sarkozy supporte mal sa diète médiatique et a reçu récemment quelques éditorialistes. L'information du Financial Times, qui suit le flop de Valeurs actuelles, a un mérite : montrer que Nicolas Sarkozy peut être "utile" ailleurs.
Alain Faujas et Arnaud Leparmentier
Source : http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/03/11/sarkozy-tiraille-entre-la-politique-et-le-business_1846055_823448.html