Un printemps bahreïni balayé
Dans la foulée du soulèvement populaire initié en Tunisie en décembre 2010 et qui s’est rapidement répandu dans le monde arabe, le Bahreïn a été le seul pays du Golfe à avoir vécu un véritable mouvement protestataire. Devant une scène politique verrouillée et monopolisée par la famille régnante sunnite des al-Khalifa, une majorité de la population s’est levée pour exiger pacifiquement des réformes d’ordre politique et social. La fin de l’accaparement des richesses par une élite prédatrice, l’ouverture de réels droits politiques et la fin d’une discrimination systémique touchant la majorité chiite (qui représente plus de 60% de la population) arrivaient en tête des revendications. Massive, la dynamique lancée aux quatre coins de l’archipel présentait aussi un caractère ouvertement transversal. Dès le début en effet, le mouvement a pris soin de mettre en avant des doléances générales d’accès au droit évitant ainsi le piège de la crispation confessionnelle dans lequel les autorités ont voulu l’enfermer.
Face à cette puissante mobilisation, le pouvoir a réagi avec violence et brutalité. La place de la Perle où se rassemblaient les milliers de manifestants a été rasée et les forces anti-émeutes ont multiplié les arrestations arbitraires avec un usage disproportionné de la force. Effrayée à l’idée de voir un mouvement populaire prendre corps dans un émirat satellite, l’Arabie Saoudite et d’autres monarchies du Golfe – au premier desquelles les Emirats arabes unis – ont envoyé quelques semaines plus tard des milliers de soldats et policiers pour prêter main forte à une répression qui se soldait déjà par des dizaines de morts et des centaines de blessés. Soumises à de fortes pressions internationales, les autorités ont alors été obligées de lâcher du lest et de créer une commission en vue de dégager les responsabilités dans les violences et de faire des propositions en matière de libéralisation de l’offre politique. Malheureusement, le rapport a vite été enterré et le cycle de la répression a repris de plus belle, la monarchie – désormais sous protectorat saoudien - s’enfonçant dans un marasme qui soumet la majorité du million et demi d’habitants à un régime policier qui interdit désormais l’accès à son sol aux organisations de défense des droits de l’homme.
Maytham al-Salman à Nabil Rajab, les icônes d’une révolte oubliée
C’est dans ce contexte que des voix se sont élevées en faisant appel à la communauté internationale pour que le projet de rénovation politique porté par le printemps bahreïni ne sombre pas dans l’oubli. Tandis que l’ayatollah Issa Ahmed al-Qassem, la plus haute autorité religieuse chiite du pays et l’un des pères de la Constitution du pays, appelait à poursuivre la mobilisation dans un cadre pacifique, Maytham al-Salman sollicitait la presse internationale et les organisations mondiales. Malgré des arrestations répétées, l’homme a pu tisser un important réseau grâce à l'ONG Bahrain Inter-Faith qu’il dirige et qui combat l’enfermement communautaire et encourage le dialogue inter-religieux. Expert associé à la Columbia University Global Freedom of Expression, il craint désormais de rentrer dans son pays de peur de ne pouvoir y ressortir ou de voir son passeport confisqué comme cela a été le cas de nombreux activistes. L’un deux, Nabil Rajab, est également devenu l’une des figures du mouvement. Emprisonné suite à un procès expéditif (les autorités faisant désormais appel à des tribunaux militaires pour juger les civils), son cas est emblématique puisque malgré sa condition de détenu politique, il demeure secrétaire-adjoint de la Fédération internationale des droits de l’homme qui exige sa libération.
Pression de la société civile
Pour ces militants, l’heure a aujourd’hui sonné pour que la société civile internationale sorte la révolte de Bahreïn du silence dans lequel elle est plongée. Outre la mise en lumière des milliers de cas de personnes arrêtées arbitrairement et soumises à la torture, ils alertent sur le fait que la folie répressive du régime crée les conditions d’une radicalisation de la population chiite. Marginalisée socialement et reléguée politiquement, la jeunesse est particulièrement vulnérable d’autant que la rupture des relations avec le Qatar a jeté au chômage des milliers d’entre eux qui travaillaient dans le riche émirat voisin. Dans la perspective d’un scénario qui vire au pourrissement, certains pourraient même être tentés de croiser le fer avec les autorités en optant pour la violence et la lutte armée. C’est naturellement un spectre que Maytham al-Salman et beaucoup d’autres font tout pour écarter mais la fuite en avant du gouvernement (dont le premier ministre est en poste depuis 1971 !) ne fait qu’accréditer l’idée d’un plan sordide consistant à pousser à bout une partie de l’opposition pour mieux justifier la répression. Plus que jamais, le printemps bahreïni a besoin de ceux des humanistes qui, à minima, révèlent au monde qu’ils ne sont pas seuls dans leur combat.
La version initiale de cette tribune a été publiée sur le site du Huffinton Post.