L'élection à l'UNESCO, un rendez-vous raté avec l'histoire (tribune sur le site de Middle East Eye) Spécial

lundi, 23 octobre 2017 11:48

audrey azoulay unescoLe récent scrutin pour la désignation du nouveau directeur général de l’UNESCO n’a pas fait qu’étaler la profondeur du clivage interarabe. Avec le choix d’une diplomate française, l’idée d’une forme de monopole des hautes fonctions internationales d'une certaine élite sort renforcée.

À ceux qui appelaient de leurs voeux une réforme des grandes institutions internationales, la nouvelle élection à la direction de l’UNESCO n’offre malheureusement pas un motif de satisfaction. Marginalisé depuis des décennies, le monde arabe attendait en effet son tour et, dans les couloirs de l’organisation, le sentiment général était qu’après le double mandat de la Bulgare Irina Bokova, le poste ne pouvait revenir, pour un troisième mandat, à un représentant du continent européen.

Il n’en fut rien et comme tout le monde l’a remarqué, c’est même l’inverse qui s’est produit. Loin de sous-estimer les qualités qu’on imagine riches et variées de l’ancienne ministre française, cette désignation a quand même du mal à passer chez un nombre croissant d’observateurs. D’abord, comme indiqué plus haut, la sensation générale est que l’UNESCO, dont la vocation universelle ne fait aucun doute, est tout de même aujourd’hui trustée par des candidats provenant du même continent européen. À l’heure où bon nombre réclament réforme et renouveau, on peut difficilement faire pire en terme de régénération du corps diplomatique. Mais surtout, l’une des coutumes qui semblait faire consensus dans l’arène multilatérale a été bafouée sans que beaucoup ne s’en émeuvent. En effet, il est de tradition que le pays qui abrite le siège d’une des antennes de l’ONU ne présente pas de postulant pour ladite organisation. La raison en est que cette situation prêterait à confusion et alimenterait les inévitables accusations de favoritisme et de collusion. C’est pourtant exactement l’inverse qui s’est produit puisque la Française Audrey Azoulay a été choisie pour diriger la prestigieuse institution en charge de la science, de la culture et de l’éducation basée à … Paris.

Il est assez évident que cette double tare ne va pas rehausser le prestige d’une UNESCO déjà mal en point. En sus de ces griefs, c’est même le mode de désignation de la postulante française qui prête à sourire, si ce n’est à confusion. Décidée à la fin du mandat affligeant de François Hollande, sa mise en avant au dernier moment a sonné comme un baroud d’honneur de l’ancien président qui a souhaité « recycler » l’une de ses proches dans un contexte où beaucoup dans l’entourage du chef d’État cherchaient à se recaser. Loin de redorer le blason de l’ancien locataire de l’Elysée, cette manœuvre malvenue a, pour certains représentants d’Afrique et du monde arabe, rappelé quelques mauvais souvenirs. Alors que le monde arabe attendait patiemment son tour, le réflexe d'éloigner tout représentant du « Tiers monde » semble avoir pris le dessus, quitte à faire usage de procédés d’un autre âge. L’accusation de néo-colonialisme voire la volonté - certes non déclarée mais certainement véhiculée en sous-main - d’écarter un candidat qui présentait la double caractéristique d’être arabe et musulman, a été émise ici et là. Même si elles semblent exagérées, ces supputations reflètent le caractère délétère d’un scrutin qui n’a, au final, pas beaucoup servi les objectifs pour lesquels l’UNESCO a vu le jour au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Au-delà de ces éléments à charge, ce qui restera de cette élection est le fait que l’UNESCO a raté son rendez-vous avec l’histoire. Dans un contexte de manque de confiance envers les grandes messes diplomatiques de la part de populations de plus en plus lassées du train de vie que prennent des élites politico-médiatiques qui cultivent un entre-soi aliénant, voir un représentant du monde arabe être élu aurait pu susciter une forme de regain d’intérêt. De même, à l’heure où le monde arabe vit une situation tragique où le désespoir de pans entiers des sociétés fait le lit de discours radicaux, la perspective de voir réussir « l’un des leurs » aurait pu couper l’herbe sous les pieds à ceux qui entretiennent le discours clivant et va-t’en-guerre d’un antagonisme consubstantiel entre l’Occident et l’islam. Bref, il est bien dommage qu’une nouvelle fois, les instances onusiennes n’aient pas fait preuve de responsabilité surtout quand on connaît la qualité du profil du candidat qui avait les meilleures chances de représenter les pays du Maghreb et du Machrek. Mais à la décharge de l’UNESCO, il est vrai que sa défaite n’est pas uniquement due à la pesanteur d’une organisation en crise.

Du retrait intempestif des États-Unis et d’Israël en passant par le jeu particulièrement malsain de certains États arabes préférant faire du sabotage que de nourrir l’espoir d’une victoire historique, l’état des forces en présence n’a pas permis de voir le Docteur Hamad al-Kuwari réussir son pari. Pour lui, la défaite porte un goût de victoire eu égard à son parcours presque sans faute qui lui a permis de se hisser en tête de tous les tours du scrutin hormis la finale. Pour l’ONU en général et l’UNESCO en particulier, la refonte de leur leadership devient une urgence si elles souhaitent garder du crédit auprès de celles et ceux qui continuent à croire que l’éducation, la science et la culture doivent rester des priorités de l’agenda international et des remparts face à l’extrémisme.

Cette tribune a été publiée initialement sur le site de Middle East Eye.

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