L’affaire du drapeau israélien au Qatar ou le miroir des contradictions

mercredi, 23 octobre 2013 13:18

BXOHL2kCcAA6QtzC’est une affaire qui fait grand bruit au Qatar et en Israël. Du 20 au 22 octobre, Doha accueillait la cinquième étape du championnat du monde de natation en petit bassin. Ce rendez-vous sportif constitue l’un des très nombreux évènements organisés dans la zone Aspire, véritable ville sportive située en bordure de la bouillonnante capitale qatarie. Comme pour chaque étape, les drapeaux des différentes délégations flottent sur le parvis de l’espace dédié à la compétition. Ils apparaissent également sur les écrans de télévision lorsque les nageurs s’apprêtent à concourir. Jusque-là tout va bien.

Sauf qu’à Doha, le scenario a subi quelques variations. La polémique démarre avec un tweet signé par Ghanem Alsulaiti, acteur qatari très connu dans la région. Son message posté sur le réseau social exprime sa colère face à la présence de la bannière de David flottant sur Aspire[1]. Le tweet est très largement relayé et suscite une vague d’indignation. L’association des jeunes Qataris contre la normalisation avec Israël exprime elle aussi sa vive préoccupation. Même le journaliste vedette d’Al Jazeera Sport, Mohamed Sa’doune Al Kuwairi, apporte son soutien à celui qui est à l’origine de la fronde[2]. Devant le tollé, les autorités font marche arrière et le drapeau est retiré. Mais la polémique ne s’arrête pas là. Avant de s’élancer sur la course du 100 mètre nage libre, la nageuse israélienne Amit Ivri a été présentée sur la chaîne diffusant la compétition avec un drapeau blanc en lieu et place de celui de son pays. Cette image du drapeau israélien effacé a provoqué la colère de nombreux sites israéliens et enflammé la blogosphère[3]. Même Arthur Dreyfuss, ancien porte-parole adjoint du ministère français de la Justice s’est ému du coup de gomme en demandant au Quai d’Orsay une réaction. Rappel opportun : lors de l’arrestation brutale de Marion Fesneau-Castaing par des militaires israéliens le mois dernier, M. Dreyfuss n’avait pas condamné l’attitude des soldats d’occupation mais stigmatisé le « militantisme » de la diplomate française[4].

Le sport à l’abri du politique ?

Cette controverse révèle plusieurs enjeux. Il y a d’abord le procès d’une prise en otage du sport à des fins d’agenda politique. L’argument revient souvent : le sport ne doit pas être soumis aux vicissitudes des querelles interétatiques. A bien y réfléchir, il ne tient pas car l’histoire récente regorge d’exemples où, au contraire, le boycott d’un évènement sportif a pu être appliqué afin de faire avancer la cause des droits de l’homme. Pour protester contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan, les Etats-Unis ont mené une campagne de boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980 entrainant le retrait de plus d’une cinquantaine de nations. Plus proche de nous, lors des JO de Pékin en 2008 ou l’Euro en 2012, de nombreux leaders politiques ont brandi la menace du boycott afin de protester contre les atteintes répétées aux libertés. Le Qatar lui-même fait l’objet d’intenses pressions de la part de plusieurs ONG afin de lui retirer l’attribution du Mondial 2022 si le sort des ouvriers ne bénéficiait pas d’une amélioration[5].

Le Qatar et ses contradictions

S’agissant d’Israël, cette pratique du boycott est souvent mise en avant. Récemment, une campagne mondiale avait été lancée afin de contraindre l’UEFA à ne pas y organiser le championnat d’Europe de football des moins de 21 ans. L’argumentaire était le suivant : puisqu’Israël ne respecte pas le droit international et multiplie les entraves à la pratique du sport dans les territoires palestiniens, le pays ne pouvait accueillir le tournoi. Même Michel Platini semblait pencher vers cette option en déclarant en septembre 2010 : « Nous les avons acceptés en Europe et leur avons garanti les conditions d’adhésion , ils doivent respecter le message des lois et réglementations sportives internationales, faute de quoi leur présence en Europe n’aura pas lieu d’être. Je vais peser de tout mon poids pour mettre un terme à la souffrance du joueur palestinien, notamment au football. (…) Israël n’a qu’un seul choix : laisser le sport palestinien se développer ou il doit assumer tout seul les conséquences de son attitude »[6]. Au final, l’Euro fut maintenu en dépit de la mobilisation de personnalités comme l’ancien Prix Nobel de la paix Desmond Tutu ou de nombreux joueurs professionnels comme Frédéric Kanouté.

Mais l’affaire du drapeau israélien révèle aussi l’ambigüité de la relation qu’entretiennent Doha et Tel Aviv. Pendant un moment, les deux pays ont établi des relations discrètes, Israël ouvrant même un bureau de représentation commerciale à Doha en 1996. Ces relations ont connu des hauts et des bas et ont fluctué en fonction notamment de l’évolution du conflit israélo-palestinien. A la suite de l’agression sur Gaza en janvier 2009, le Qatar a décidé de rompre définitivement le lien. Désormais, ces relations demeurent très froides surtout depuis que l’émir a visité Gaza il y a tout juste un an, brisant ainsi l’isolement diplomatique de la bande de Gaza qu’Israël voulait rendre permanent. Cette distance entre les deux pays semble correspondre à l’opinion grandement majoritaire dans le petit émirat. La querelle du drapeau n’a finalement été qu’une nouvelle expression, énergique et frondeuse, du tropisme pro-palestinien de la population qatarie, mais elle a également dévoilé en creux un certain malaise. A force de vouloir émerger comme l’un des épicentres du sport mondial, l’émirat risque d’être confronté de nouveau à ce genre de dilemme.

Israël, Qatar : deux poids, deux mesures ?

Enfin, ce que met en évidence cette affaire est, au-delà de la contradiction du Qatar, la certaine complaisance des institutions sportives mondiales. A l’été 2011, lorsque l’UEFA avait confirmé le choix d’Israël comme pays organisateur de l’Euro, une quarantaine de clubs de football palestiniens avaient signé une déclaration commune faisant part de leur consternation de voir Tel Aviv « récompensé pour son oppression de [leur] peuple, en toute impunité, par le privilège d’accueillir » le tournoi. Le texte rappelait que l’Etat hébreu pratiquait « un mélange, unique au monde, d’occupation, de colonisation et d’apartheid dirigé contre la population indigène, c’est-à-dire les Palestiniens »[7].

La véritable question aujourd’hui est de savoir si les instances internationales vont prendre un jour à bras-le-corps la question de la place d’Israël dans l’univers du sport. Car on ne peut s’empêcher de faire une comparaison qui n’a rien de fortuite. Ces dernières semaines, le Qatar a fait l’objet d'une vaste campagne à l’échelle internationale dénonçant – à juste titre – la condition déplorable des ouvriers asiatiques. Toute la presse internationale, et notamment française, s’est émue de la trahison de l’éthique du sport en confiant l’organisation du Mondial à un Etat qui maltraite ceux qui vont se sacrifier pour permettre son déroulement. Il est quand même intéressant de noter que cette même presse internationale n'évoque que rarement voire jamais la violation systématique du sport dans les territoires palestiniens. L’affaire du drapeau a ceci d’intéressant de relever derrière les paradoxes du Qatar, une face cachée de la scène sportive mondiale. Une scène qui s’émeut promptement quand le Qatar dérape mais qui se confine dans un silence coupable quand il s’agit de pointer d’autres situations. La condamnation sélective, ce n’est pourtant pas très sportif.



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