Cette décision survient après qu’un accord de cessez-le-feu ait été trouvé en fin de journée, mardi 13 décembre, entre l’état-major du Kremlin et les différentes factions rebelles. Alep-Est qui comptait plus de 250 000 habitants il y a encore une dizaine de jours ne comptent plus que 80 000 personnes (civils et combattants) cantonnées sur un minuscule territoire de 5 km². Celles-ci devaient être évacuées mercredi 14 décembre à 5 heures du matin vers la région d’Idlib, bastion de l’opposition au régime de Bachar al-Assad. Ankara prendra en charge ce transfert et se chargera de la supervision car nombreux sont ceux qui craignent de nouvelles exactions lors de leur « passage » par les postes frontières de l’armée loyaliste. Déjà, certains observateurs ont indiqué que les premiers contingents de civils avaient dans la matinée été refoulées, signe que l'accord risque d'être difficilement appliqué.
Du soulèvement pacifique aux crimes de guerre
Pour rappel, en mars 2011, le peuple syrien s’est soulevé dans le sillage du printemps arabe contre le régime policier et oppressif de la famille Assad qui monopolise le pouvoir depuis la fin des années 1960. Face à la répression immédiate et disproportionnée, ce soulèvement pacifique a rapidement glissé vers un conflit armé puis à une atroce guerre civile. Selon l'intellectuel Burhan Ghalioun, l’élément déclencheur de cette militarisation fut la fuite en avant du régime et de ses alliés (notamment iraniens et du Hezbollah) avec l’usage indiscriminé de la torture et des viols à grande échelle.Plus de cinq ans après l’éclatement d'une révolte prometteuse au départ, le pays est ravagé par la guerre et la désolation. En bombardant sciemment la population civile, les écoles, les hôpitaux et les convois humanitaires, le gouvernement de Damas (appuyé de manière déterminante par l’aviation russe et ses supplétifs irano-libanais) a pu se maintenir dans la « Syrie utile », cette partie du pays que le régime considère comme son espace vital. Le bilan de cette politique est dramatique ; plus de cinq millions de Syriens se sont réfugiés dans les pays limitrophes, la moitié de la population restée dans le pays est déplacée et le nombre de morts, de blessés et de disparus dépasse le demi-million. Cette situation a fait de la situation syrienne "la pire des tragédies humanitaires que le monde a connu depuis le génocide du Rwanda en 1994" d'après un rapport de l'ONU de juillet 2013.
Des appels au secours aux messages d’adieux largement relayés
Après avoir « pacifié » les zones près de la capitale et laissé sciemment prospéré l’Organisation Etat islamique (OEI) afin d’en faire un épouvantail qui fera de lui le moindre mal, le régime s’est rabattu ces derniers mois sur Alep en y déployant une violence aveugle. Après plusieurs semaines d’une offensive meurtrière débutée à la mi-novembre, des civils et personnels humanitaires tentent aujourd'hui d’informer le reste du monde sur les atrocités qui s’y déroulent. Face à l’immobilisme de la communauté internationale et à la perte inéluctable des derniers quartiers rebelles, les messages d’adieux d’activistes, de médecins et de simples civils se sont multipliés sur la toile depuis trois jours. Comme celui de Bana, petite fille de 7 ans qui raconte son quotidien sur Twitter avec l’aide de sa maman Fatemah qui a écrit mardi matin : « Mon nom est Bana, j'ai 7 ans. Je m’adresse au monde depuis Alep-Est. Je suis entrain de vivre mes derniers moments ». Le photographe Ameen al-Halabi a publié sur sa page Facebook : « J'attends d'être tué ou capturé par le régime d'Assad. Priez pour moi et ne nous oubliez pas ». Quant au journaliste Hadi Abdallah, lauréat du prix RSF 2016 (Reporters sans frontières), il a lancé un dernier appel au monde via une vidéo pour sauver la ville d’un désastre annoncé. Cette situation a suscité un vent de solidarité et d'indignation notamment sur Twitter à travers le monde.
Des crimes guerre voire des crimes contre l’humanité
Le régime syrien et les milices chiites étrangères qui contrôlent désormais la quasi-totalité des quartiers d’Alep-Est commettent actuellement de nouvelles exactions qui risquent, selon le premier ministre français Bernard Cazeneuve, d'être « constitutives de crimes de guerre, voire de crimes contre l'Humanité ». Selon l’ancien ministre de l’Intérieur, celles-ci seraient « accomplies avec un cynisme et une cruauté inouïs ». Un rapport de l’ONU a en effet fait état d’au moins 82 civils exécutés en moins de 48 heures, dont 11 femmes et 13 enfants. Le chiffre risque d’être bien plus élevé eu égard aux nombreux corps qui gisent encore sous les décombres. D’autres récits font état de disparitions forcées de centaines d’hommes tentant de se réfugiés à Alep-Ouest.
D’après plusieurs témoignages, des femmes auraient demandé à leurs époux qu’ils les tuent pour éviter de se faire massacrer par les sbires du régime. Des activistes ont aussi montré des photos de corps de femmes jonchés sur le sol au milieu de flaques de sang en rapportant qu’elles se sont jetées depuis les toits pour échapper aux viols et tortures que leur préparaient les escadrons de la mort de l’armée régulière.
Plusieurs projets initiés par le Qatar et la Turquie
A la pointe dans la dénonciation du régime syrien depuis l’éclatement de la révolution, la Turquie et le Qatar se mobilisent activement pour freiner la mécanique mortifère des forces loyalistes. En plus d’un soutien armé aux franges modérées de l’opposition, les deux pays avaient mis en garde dès 2012 que la folie meurtrière du régime allait susciter une radicalisation d'une partie de l'opposition. Comme le précisent certains universitaires et journalistes comme François Burgat, Thomas Pierret et Nicolas Hénin, celle-ci qui a demandé en vain des armes lourdes à l'Occident afin de renverser le rapport de forces, a été lâchée par ses parrains, et a fini par être écrasée par un régime revigoré par l'aide russe et iranienne. C'est bien ce déséquilibre des forces qui a été l'une des causes majeures de la descente aux enfers de la crise syrienne. Affaiblie, fragilisée et soumise à une répression implacable, la rébellion s'est délitée et fragmentée. C'est sur ce marasme qu'ont prospéré les forces jihadistes, en particulier l'OEI dont la propagande qui consiste à affirmer que les musulmans sunnites ont été lâchés de tous fonctionne aujourd'hui à plein régime.
Parallèlement à leurs soutiens financier et logistique, la Turquie et le Qatar mettent l’accent sur le volet humanitaire. En septembre dernier, Doha a lancé le projet "Le Qatar pour éduquer et former les réfugiés syriens, QUEST" en marge de la 71e session de l'Assemblée générale des Nations unies à New York. L’initiative vise à s'assurer que les enfants et adolescents qui subissent les conséquences de la guerre en Syrie bénéficient d'un cadre scolaire leur permettant un avenir éducatif qui soit plus prometteur que l'horizon de guerre et de privations dans lequel ils ont trop longtemps été confinés.
Ce programme de formation nommé en anglais "Qatar Upholding Education for Syrians' Trust - QUEST" dispose d'un budget qui dépasse la somme de 100 millions de dollars. S’étalant sur une durée de cinq ans, il vise à fournir une éducation et une formation à près de 400 000 déplacés syriens et réfugiés en Jordanie, au Liban, en Irak et en Turquie.
De plus, le Qatar et la Turquie projettent de mettre en place de l’un des plus grands orphelinats au monde qui accueillera à terme un millier d’enfants dans le sud de la Turquie. En avril dernier, on estimait que plus de 700 000 enfants syriens avaient perdu la trace de l’un de leurs parents. Deux millions d'enfants vivent dans des zones où la livraison de l'aide humanitaire est devenue extrêmement difficile tandis que plus de 2,1 millions d'enfants ne peuvent plus aller à l'école.
Le Qatar accueille bel et bien des réfugiés syriens
Contrairement à certaines déclarations largement reproduites dans les médias, le Qatar a bel et bien accueilli des réfugiés syriens. Selon une étude de Françoise De Bel-Air, spécialiste des mouvements migratoires, l’émirat compte 40 000 réfugiés syriens. Ceux-ci ne sont pas placés dans des camps mais intégrés au sein de la société avec un visa de résidence puisque le statut de réfugié n’existe pas dans l'émirat. En effet, le Qatar à l’instar de ses voisins du Golfe n’est pas signataire de la convention de Genève de 1951 qui a créé le statut de réfugié. Celle-ci impose aux pays d’accueil d'accorder l'asile aux personnes fuyant les conflits et les persécutions.
Depuis le début du soulèvement en mars 2011, le Qatar a dépensé plus de deux milliards de dollars en soutien humanitaire, principalement destinés aux démunis installés dans les pays limitrophes de la Syrie. La Turquie accueille quant à elle plus de trois millions de réfugiés syriens principalement placés dans des camps dans le sud-est du pays. Le gouvernement d’Ankara a déjà dépensé plus de 14 milliards d’euros consacrés à l’installation et à l’intégration des réfugiés syriens.