Ce qu'il faut retenir du discours de l'émir du Qatar à l'ONU

vendredi, 23 septembre 2016 09:34

emironuL'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a tenu un discours à la tribune de l'assemblée générale de l'ONU à l'occasion de sa 71e session. Les principaux points portaient sur les dysfonctionnements du système onusien, en particulier sur le dossier palestinien et la crise syrienne.

Le chef d'Etat a dénoncé les carences du système de l’ONU et « son incapacité, dans bien des cas, à appliquer les principes de justice et d’équité à ses propres mécanismes de fonctionnement ». L’une des manifestations majeures de ces dysfonctionnements, d'après lui, s’incarne dans la « sélectivité du Conseil de sécurité à propos de la gestion des crises, notamment pour ce qui relève de l’utilisation de la force par certains pays dans les relations internationales ».

Remettre le dossier palestinien en tête des priorités

Le souverain a ensuite directement fait mention du dossier palestinien comme pour mieux signifier la centralité de cette cause dans l'échiquier politique régional. En retrait de l'agenda international du fait de la descente aux enfers de la crise syrienne et de l'action des groupes terroristes qui menacent la stabilité du Moyen-Orient, cette mention du conflit israélo-palestinien démontre que cette affaire reste néanmoins le noeud focal de toute l'équation stratégique régionale.

Sur ce point, le Qatar reste aligné sur les termes d'une solution du conflit qui a été adoptée par l'ensemble de la Ligue arabe dès mars 2002 lors du Sommet arabe de Beyrouth : une reconnaissance pleine et entière d'Israël en échange d'un retrait des territoires occupés depuis juin 1967 et l'instauration d'un Etat palestinien viable avec Jérusalem-est comme capitale. Cette proposition, pourtant soutenue par une grande partie de la communauté internationale, n'a jamais été acceptée par Israël. Cette dernière, en poursuivant sa colonisation et son entreprise d'occupation de terres au mépris du droit international, ne semble pas prendre la mesure de l'impasse à laquelle mène son intransigeance. Depuis de nombreuses années, différents rapports d'ONG de défense des droits de l'homme ou même ceux de l'Union européenne tirent la sonnette d'alarme sur l'aggravation de la situation en pointant combien l'unilatéralisme de Tel Aviv menace de dégénérer en un retour du cycle des violences.

La crise syrienne : pointer les responsabilités

Poursuivant son discours autour des drames qui secouent le monde arabe, l'émir a produit un long développement sur la Syrie. D'après lui, c'est l'inaction de la communauté internationale qui est en grande partie responsable du marasme actuel. En laissant le régime de Bachar al-Assad poursuivre ses bombardements aveugles contre les populations civiles et dépasser les "lignes rouges" en toute impunité, l'ONU n'a pas été à la hauteur de sa responsabilité de protéger le peuple syrien. Pour parvenir à une fin des hostilités, le dirigeant qatari a réaffirmé qu’il incombait au Conseil de sécurité de mettre un terme au « bain de sang en Syrie et aux bombardements barbares ». 

Suite à ce discours, on peut affirmer que la stratégie du Qatar sur le dossier syrien n'a pas changé depuis l'avènement de cheikh Tamim au pouvoir et qu'elle ne changera pas dans un avenir proche. En plus d'être dans le prolongement de celle adoptée par l'émir précédent (cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani qui a cédé le pouvoir en juin 2013), cette attitude nous semble être partagée par une partie majoritaire de l'opinion arabe. En effet, l'une des analyses qui est développée auprès d'un nombre important d'observateurs et de médias de la région est que l'ONU joue un jeu particulièrement trouble. Alors qu'elle s'est tue depuis le début du soulèvement syrien devant l'ingérence irano-russe (laquelle est en grande partie responsable du drame actuel), l'instance mondiale s'est paradoxalement interdite toute action militaire contre le gouvernement de Damas qui aurait permis de mettre un terme à l'escalade de la violence. Cette situation semble d'autant plus amère que la configuration actuelle ne fait qu'accentuer cette amertume auprès de ceux qui dénoncent l'impuissance de l'ONU et la duplicité des gouvernements occidentaux ; en effet, comment expliquer que les Etats-Unis et la Russie s'accordent aujourd'hui pour pilonner les forces rebelles tout en laissant libre de mouvement l'armée loyaliste dont tout le monde sait qu'elle continue de répandre la terreur dans de nombreuses zones civiles? Si l'on ajoute à cela la couverture d'Al Jazeera qui maintient une couverture en faveur des opposants syriens, il nous parait assez clair que la position du Qatar n'est pas sur le chemin d'une réorientation majeure sur ce dossier qui clive profondément le Moyen-Orient depuis plus de cinq ans. En synergie avec la Turquie avec qui elle partage de nombreuses vues sur les dossiers de la région (Égypte, Palestine notamment), Doha restera proche de la rébellion même si le rapport de forces demeure, du fait de l'entrée massive des forces russes, en faveur du gouvernement de Bachar al-Assad.
 
L'impasse de la position américaine
 
Cette perception du conflit syrien est également partagée par certains chercheurs occidentaux. Dans une récente note publiée par le prestigieux magazine Foreign Policy, Charles Lister rappelait que "l'Administration Obama n’a su considérer la crise syrienne autrement qu’à travers le prisme de l'anti-terrorisme" et que cette vision a contraint le pays à faire les mauvais choix. Obnubilés par l'émergence de factions radicales (dont l'origine remonte à la l'extrême brutalité du régime lors des premiers mois de la révolte), le chercheur rappelle que "l'Etat islamique et al-Qaida ne sont tous deux que des symptômes de la crise, pas son origine". Ce qui semble désolé Charles Lister, et avec lui d'autres universitaires, est le fait que face à l'abandon de la communauté internationale et à la permanence d'une entreprise de répression qui s'éternise, les factions djihadistes comme Jabhat Fath al-Cham (anciennement Front al-Nosra) soient davantage considérées par la population civile qu'une hypothétique protection américaine qui ne leur est jamais parvenue.
 

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