Règlement des conflits par la négociation
Peu de temps après la visite de l’émir Tamim à l’Élysée au cours de laquelle Emmanuel Macron a pris une position remarquée en demandant la levée de l’embargo, le déplacement du ministre apparaissait comme une volonté de Doha de privilégier la France comme l’espace idoine de présentation de sa nouvelle feuille de route. À la lumière des propos tenus par le ministre, on peut dire que celle-ci s’inscrit dans le droit fil du discours tenu la semaine dernière par l’émir lors de la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies et qui combine désormais deux postures : volonté de laisser ouverte la porte au dialogue mais détermination à défendre la réputation du Qatar en passant à l’offensive.
Dans un premier temps, le ministre a rappelé les fondamentaux de la diplomatie du Qatar. D’après lui, Doha a toujours fait de la négociation et de la recherche des compromis la voie royale pour le règlement des différends. Cette posture de conciliation et cet appel à l’avènement d’une scène internationale apaisée, régie par la paix et la solidarité entre les nations est une constante de la politique extérieure du pays. Elle se base notamment sur l’article 7 de la constitution du Qatar qui stipule que « la politique étrangère de l’État du Qatar est fondée sur le principe du renforcement de la paix et la sécurité mondiale en favorisant la résolution des conflits internationaux par des moyens pacifiques et en soutenant le droit des peuples à l’autodétermination, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États et la coopération avec les nations aimant la paix ». Cette disposition fait de l’émirat l’un des seuls pays au monde inscrivant la conciliation entre États comme objectif constitutionnel.
Une posture offensive pour rétablir la vérité
À la suite de ces éléments introductifs, le ministre est passé à un deuxième stade de son discours où le propos indiquait, à la faveur des questions des journalistes, une inflexion de la position officielle sur les questions régionales. Après avoir retracé la responsabilité directe des pays du Quartet dans l’irruption de la crise et en dénonçant la « propagande » malheureuse de leurs médias inféodés, Mohamed ben Abderahmane al-Thani est revenu sur la question du terrorisme, de sa définition et de son financement. En le présentant comme une stratégie « visant à utiliser la force pour atteindre des objectifs politiques », le ministre a précisé que c’est exactement ce procédé que les pays du blocus avaient déployé contre son pays. Ce propos se faisait l’écho de celui prononcé à New York par l’émir qui, lors de son allocution, a déclaré que « les pays qui ont imposé ce blocus injuste contre le Qatar sont intervenus dans les affaires internes de l’État en exerçant des pressions sur les citoyens, en s’en prenant aux denrées alimentaires, aux médicaments, aux relations familiales, pour contraindre les individus à modifier leurs affiliations politiques, pour déstabiliser un pays souverain. N’est-ce pas là une des définitions du terrorisme ? »
La convocation du terrorisme lors de ces deux moments n’est pas anodine. Pour le Qatar, la stratégie semble désormais axée sur la réutilisation de ce concept en distinguant ceux qui le combattent réellement de ceux qui en sont les promoteurs idéologiques. En rappelant que les quatre pays du blocus (Égypte, Arabie Saoudite, Bahreïn et Émirats arabes unis) adoptaient un mode d’action irresponsable sur la scène mondiale par des procédés « terroristes », Doha vise à renverser le schéma accusatoire en faisant porter sur ses adversaires la paternité d’un terrorisme d’un genre nouveau. Signe de cette démarche, le ministre a tenu à rappeler leur responsabilité directe dans la cyber-attaque – accusation confirmée par des services américains – qui a visé fin mai l’agence de presse qatarie et qu'il a considéré comme « un acte de guerre » selon le droit international. Prolongeant son examen des faits, l’homme a évoqué combien le Qatar s’était mobilisé en finançant de nombreux programmes éducatifs qui scolarisent des millions d'enfants des zones sinistrées précisément pour les écarter de la pauvreté et du marasme qui font souvent le lit des idéologies extrémistes. Dans le même esprit, il a rappelé que Doha resterait aux côtés des peuples arabes qui souhaitent vivre dans la liberté et que c’est leur oppression et le musèlement de leurs droits qui sont, là aussi, à la racine du désespoir qui nourrit le sectarisme au Moyen-Orient.
Enfin, saluant la dignité du peuple qatari et des expatriés vivant dans le pays, le ministre a indiqué que son gouvernement ne se rabaissait pas à utiliser les procédés frauduleux dont ses adversaires abusent dans cette confrontation diplomatique. Ironie du sort, il a mentionné que cette crise s’était transformée en opportunité puisque le Qatar a fait la démonstration depuis trois mois que non seulement, il n’était pas à genoux mais qu’en plus, il poursuivait son effort de développement et son chemin vers le progrès. De l’ouverture du nouveau port Hamad, « l’un des plus grands au Moyen-Orient » a-t-il tenu à préciser, au renforcement de partenariats stratégiques avec ses alliés, le Qatar maintiendra une politique responsable et indépendante loin des tentatives de mise sous tutelle et des agendas malveillants.