L’heure était à la célébration de Mohamed ben Salman (MBS) qui, tout juste nommé ministre de la Défense et appelé à une ascension fulgurante, conduisait les opérations militaires et incarnait le nouveau visage d’un royaume décidé à réhabiliter son prestige.
Humiliation militaire, désastre humanitaire
Sauf que la situation n’a pas évolué dans le sens désiré. Alors que certains responsables saoudiens affirmaient qu’ils allaient en finir au bout de trois semaines, force est de constater que le bilan sonne, trois ans plus tard, comme un échec total pour Riyad et ses alliés. D’abord sur le plan militaire car la milice houthie – vouée aux gémonies pour sa proximité avec l’Iran - n’a pas été vaincue. Pire, la voilà qui se permet de viser régulièrement l’Arabie Saoudite par des missiles balistiques jetant l’effroi jusqu’au cœur de la capitale. Preuve de cette humiliation pour Riyad, plusieurs de ces missiles ont encore été tirés dans la nuit du 25 au 26 mars plongeant une partie du royaume dans la panique. Comme pour « marquer » à sa manière les trois ans de la guerre, la milice houthie a souhaité démontrer par cette opération d’envergure comment sa capacité de nuisance est montée en puissance et ce, en dépit du tapis de bombes déversées par l’aviation saoudo-émirienne depuis trente-six mois.
Pour Riyad, le déshonneur est béant car non seulement les Houthis sont loin d’avoir été brisés mais en plus, le royaume est désormais incapable d’assurer sa propre sécurité. Malgré les centaines de milliards de dollars injectés dans des moyens militaires hypersophistiqués, plus d’un citoyen saoudien doit se poser de sérieuses questions sur la crédibilité d’un pouvoir qui crie à la victoire depuis le départ alors qu’il semble impuissant à venir à bout d’une rébellion qui, malgré un blocus drastique dont elle est la cible, ridiculise chaque jour davantage la monarchie pétrolière aux yeux du monde.
Sur le plan humain et de l’image, le bilan pour la dynastie al-Saoud est tout aussi dramatique. Le conflit a en effet causé la mort de près de 10 000 personnes sans parler des quelques 40 000 blessés et des 2,3 millions de personnes déplacées. Des maladies d’un autre âge comme le choléra ont refait leur apparition mettant en péril la survie de près d’un million d’enfants. Dans un pays de près de 30 millions d’âmes déjà frappé par la misère, la guerre n’a fait qu’exacerber les souffrances qui plongent la population civile dans un marasme général. Alors que la famine guette une grande partie du pays, ce sont également près de 10 millions de personnes qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.
Impasse politique
Devant un tel chaos, des acteurs humanitaires ont qualifié la situation au Yémen de la « pire crise humanitaire de la planète ». En dépit des dénégations émanant du camp émiro-saoudien qui multiplie ces derniers jours les évènements et autres opérations de communication pour « vendre » leur stratégie guerrière aux opinions occidentales, cette réalité ne peut plus aujourd’hui être niée. Au delà de l’effet désastreux en terme d’image, elle interroge sur l’amateurisme de la politique poursuivie par ces deux Etats qui semblent décidés à faire un usage inconsidéré du hard power pour asseoir leur hégémonie.
Car si la doctrine saoudienne semble depuis des décennies - et plus encore depuis l’arrivée du roi Salman au pouvoir en février 2015 - être guidée par le désir ardent de « containment » de l’influence iranienne, force est de reconnaître que les choix opérés ces trois dernières années ont provoqué l’effet inverse. Alors que les Houthis étaient certes liés d’une manière indirecte à l’Iran avant la guerre, plus d’un observateur font remarquer que le conflit a définitivement jeté la milice dans les bras de la grande puissance chiite qui en fait désormais une carte majeure dans sa confrontation avec Riyad. D’autant que la montée en puissance de Téhéran est palpable sur les autres lignes de faille du Moyen-Orient.
La coalition arabe dans l'oeil du cyclone
Le blocus du Qatar, dont beaucoup s’accordent à dire qu’il a été une grave erreur stratégique allant jusqu’à disloquer le Conseil de coopération du Golfe, n’a fait que consolider la présence iranienne dans le Golfe du fait du rapprochement entre Doha et son grand voisin du nord. En plus du Liban où la vacuité diplomatique saoudienne s’est manifestée avec éclat à travers le psychodrame de la démission forcée de Saad Hariri en novembre, l’Iran consolide sa présence en Syrie et en Irak, deux pays majeurs pour l’équilibre stratégique régional.
Trois ans donc après le début de l’opération « Tempête décisive » au Yémen, le rêve saoudien de restaurer la grandeur du royaume a viré au cauchemar. Mais le pire est peut-être devant nous puisque Mohamed ben Salman, dont tout porte à croire qu’il deviendra à court terme le souverain de la première puissance pétrolière mondiale, semble ne pas comprendre que le choix des armes est une voie sans issue. Au Yémen come ailleurs, son caractère compulsif conjugué aux désirs de grandeur immodérés de son maître à penser, l’émirien Mohamed ben Zayed, risquent de plonger la péninsule arabique - et avec elle tout le Moyen-Orient - dans une période d’instabilité propice à toutes les incertitudes.