Emporté par la vague du Printemps arabe qui galvanise les peuples du Maroc au Bahreïn, celui qui est surnommé « Ibn al-Dhib » chante les louanges de ces soulèvements et rend hommage à la révolution du Jasmin qui a provoqué la chute et la fuite du président tunisien Zine al-'Abidine Ben Ali. Dans son envolée lyrique qui a d’ailleurs pour titre « Poème de jasmin », l’amoureux de Rimbaud glisse« nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive ». L’allusion aux autorités de son pays d'origine est à peine voilée et dès son retour à Doha, le 16 novembre 2011, il est arrêté et directement mis en prison.
Le 29 novembre 2012, soit douze mois après son arrestation, Ibn al-Dhib comparaît sous trois chefs d’inculpation : « incitation au renversement du régime », « insultes de l'émir et diffamation du prince héritier » ainsi que « atteinte à la Constitution ». La peine est particulièrement lourde puisque le tribunal prononce la réclusion à perpétuité. L’appel, survenu en février 2013, réduit la sentence à quinze années de prison, peine qui sera confirmée huit mois plus tard par la Cour de cassation. La décision de la justice qatarie suscite une émotion internationale notamment du fait de la mobilisation des organisations de défense des droits de l’homme. Trois rapporteurs spéciaux des Nations Unies publient une déclaration le 20 octobre 2013 dans laquelle ils assurent que ce procès a été entaché d'irrégularités. Ils ajoutent que la procédure n'a pas respecté les normes internationales qui protègent la liberté d'expression et qu'al-Ajami n’a pas bénéficié d’un procès équitable.
Un procès contesté jusqu'au Qatar
Depuis le début de l’instruction, l’avocat du plaignant, Néjib al-Naïmi, fustige la manière avec laquelle son client a été traité. Les manquements à la procédure n’ont d'après lui pas manqué : audiences secrètes, faux témoignages, procès politique et composition du tribunal contraire au code de procédure pénal. Malgré ses nombreuses réclamations, Néjib al-Naïmi qui n’est autre que l’ancien ministre de la Justice du Qatar et un des avocats ayant défendu Saddam Hussein, a vu ses demandes de libération rejetées. Pour la défense de leur ami, les partisans d'al-Ajami avancent que la récitation du poème a été faite lors d'un rassemblement privé et postée sur YouTube à son insu.
Du côté de l’accusation, on insiste sur le fait que le poète s’est comporté de manière arrogante et a même rejeté l’autorité du président du tribunal au motif que ce dernier était noir et Soudanais. De son côté, Néjib al-Naïmi a déclarélors d’une interview accordé au quotidien en ligne Doha Newsqu' « il n'y a pas de preuves pour affirmer ces accusations. Il n'a insulté personne et il n'a rien fait de mal » a-t-il insisté.
Grâce de l’émir du Qatar
Pour mettre fin à cette affaire qui a entaché la réputation de l’émirat, le président de la Commission nationale des droits de l'homme du Qatar, Ali ben Smaikh al-Marri a déclaré au quotidien Al 'Arabi Al Jadid que l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a décidé de gracier le poète Mohammed al-Ajami. Ce geste marque un pas important dans la promotion de la liberté d’expression dans un pays qui a souvent été critiqué pour exporter la démocratie à l'extérieur tout en adoptant une attitude répressive à l'intérieur. Nul doute que cette décision est aussi la marque du nouvel émir qui souhaite, par ce genre d'actes symboliquement forts, marquer son règne par une posture d'ouverture, ce qui sera de nature à positiver l'image du pays sur la scène internationale.
Cette libération signifie aussi qu’il n’y a plus de prisonnier politique et d’opinion au Qatar. Cette situation tranche avec certains voisins du pays comme les Emirats arabes unis où les procès politiques et arrestations arbitraires sont monnaie courante. Il y a quelques mois, Amnesty international lançait une campagne pour la libération de Mohamed al-Roken, juriste reconnu et principal contact de l'ONG dans le pays, suite à son millième jour d'incarcération. Gageons donc que ce geste du Qatar puisse inspirer d'autres Etats afin de faire avancer le respect des droits humains et des libertés fondamentales dans la région.