Ramadan 2016 : réunis en Turquie, des oulémas et scientifiques plaident pour un calendrier unifié

dimanche, 05 juin 2016 12:46

hijritaqwim

Plus de cent cinquante savants musulmans, exégètes et astronomes, en provenance d’une soixantaine de pays, se sont réunis lundi 20 mai à Istanbul, pour clôturer le « Congrès de l’Union internationale du Calendrier musulman ». L’objectif affiché de cette réunion était de s’accorder sur un calendrier unique qui assurera l’unité des musulmans.

Originaires notamment de Turquie, d’Arabie Saoudite, de Malaisie, des Émirats Arabes Unis, du Qatar, du Maroc, d’Égypte, de Jordanie, de France ou des États-Unis, environ cent cinquante personnalités religieuses et scientifiques ont adopté le principe d'un calendrier hégirien unique, lors d'un congrès international organisé à Istanbul du 28 au 30 mai.

Une volonté d’unifier

La Diyanet, représentante des Affaires Religieuses turques qui est à l’origine de l’évènement, a annoncé l’adoption, par une large majorité des participants, d’un calendrier lunaire unifié. Celui-ci déterminera les dates des débuts des mois du calendrier ainsi que les grands événements cultuels tels que le début et la fin du Ramadan, l’Aïd al-Adha ou encore le Hajj.  

Le directeur des Affaires religieuses de Turquie, Mehmet Gormez, a déclaré que « l’adoption d’un tel calendrier permettra d’éliminer certains problèmes de synchronisation entre les musulmans répartis dans le monde, surtout des minorités. Les dates et jours importants, tels que les fêtes, seront synchronisés. Ce calendrier évitera également une divergence entre les croyants ». Cette déclaration a été appuyée par d’autres savants musulmans dont le Cheikh Youssouf al-Qaradawi qui occupe le poste de président de l’Union internationale des Oulémas musulmans. Cette association qui regroupe des milliers de savants religieux à travers le monde (de toutes les écoles juridiques) a été fondée en 2004 et est actuellement basée au Qatar. A l'issue de ce congrès, la création d'une commission scientifique chargée d'établir un calendrier sur dix ans a été annoncée, ainsi qu'une autre qui aura pour mission de défendre et d’expliquer le principe du calendrier unifié auprès de l'opinion publique musulmane.

Un idéal mais de possibles blocages en vue

Néanmoins, la volonté des religieux demeurera peut-être insuffisante pour voir le monde musulman, dans sa globalité, uni sous une même date pour les moments forts du calendrier lunaire et ce, pour deux raisons. D’abord, Mehmet Gormez a précisé que ce projet de calendrier unique est consultatif et n’a donc pas de force contraignante. Dans sa formulation, celui qui est considéré comme le mufti de Turquie a tenu à préciser que « le Congrès conseille aux institutions religieuses islamiques dans le monde entier de suivre ce calendrier ». Il a spécifié que cette recommandation sera envoyée à diverses organisations internationales, en premier ressort à l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), de sorte à ce que ces dispositions soient transmises aux autorités des Etats membres.

De plus, l’unification du calendrier lunaire pour tous les pays musulmans pose, en creux, la question du leadership au sein de la « oumma ». Au sein de l’espace de sens de la communauté musulmane à l’échelle mondiale, ces dates revêtent une importance symbolique capitale. En décidant du moment de début et de fin des fêtes religieuses, l’autorité politique qui les décrète assoit sa souveraineté morale et c’est en grande partie pour cette raison qu’il y a, depuis des années, des divergences entre Etats. Chaque pays souhaite décider pour sa propre population et beaucoup rechignent à déléguer cette prérogative. Pendant plusieurs années, le choix du début et de fin de Ramadan a ainsi été l’otage de querelles politiques, tel Etat refusant de suivre tel autre. Ces disputes se sont même faites parfois au mépris des données scientifiques indiscutables (l’an dernier, de nombreux pays musulmans ont annoncé le jour de l’Aïd alors que le croissant n’était même pas visible chez eux). Enfin, rappelons que si l’union souhaitée à Istanbul est éminemment louable, elle n’efface pas le fait que, en 1978, un colloque international s’était également réuni en Turquie et avait opté pour les mêmes conclusions. Le but était, là aussi, de sortir d’une situation où les pays musulmans annonçaient le début du Ramadan avec un décalage de plus de trois jours. Seulement, puisque ce colloque était également non contraignant, il n’avait pu aboutir à des décisions communes dans la détermination des jours de fête. Le congrès d'Istanbul qui vient de se tenir semble promis à un meilleur avenir puisque l'envergure académique et intellectuelle des participants est indiscutable et que la volonté de ne plus donner l'image d'une communauté désunie est très forte auprès de l'opinion publique musulmane mondiale.

En France, les responsables communautaires pour l’apaisement

En France, le Conseil théologique musulman de France (CTMF) a annoncé, le 6 avril 2016la date du début du mois de Ramadan au lundi 6 juin et de l’Aïd al-Fitr au mardi 5 juillet. Basant son avis sur des études religieuses et données astronomiques solides, il reprend pour l’essentiel l’avis du Conseil européen de la fatwa et des recherches dont la réflexion sur le sujet remonte à près de vingt ans. De leur côté, les grandes fédérations et mosquées ont décidé de se réunir ce soir à la Grande mosquée de Paris pour décider d’une date commune afin de sortir des épisodes fâcheux des années précédentes où l’on avait constaté de vives controverses. Il n’est pas sûr que cette volonté, louable en soi, puisse être couronnée de succès. Pour l'astrophysicien Nidhal Guessoum, le croissant du nouveau mois sera invisible dimanche 5 juin au soir dans toute l’Europe et les pays du Golfe (à l’œil nu ou au télescope) mais il sera visible dans de nombreux pays d’Afrique. Si l’option de la vision locale est validée (chaque pays décide d’observer pour lui même, ce qui est l’avis minoritaire dans le droit musulman), on risque d’avoir une date de début de Ramadan pour le mardi 7 juin. Si, par contre, c’est l’avis de la non considération des levants qui est pris en compte (c’est-à-dire que tous les musulmans jeûnent à partir du moment où la lune a été observée dans un endroit du monde, ce qui correspond à l’avis majoritaire dans le droit musulman), on assistera sans doute à une décision unique de débuter le jeûne du mois béni pour lundi 6 juin. Gageons que ce soit la seconde option qui soit retenue et que les considérations autres que celles qui devraient animer l’intérêt général soient écartées.

 

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