Le premier lieu saint de l’islam se trouve à La Mecque, en territoire saoudien, qui organise le pèlerinage depuis l’arrivée au pouvoir de la famille al-Saoud dans les années 1920. Le petit pèlerinage, appelé omra, et qui n’est pas une obligation religieuse, est quant à lui effectué tout au long de l’année. Néanmoins, il est vivement recommandé de l’accomplir durant le mois de Ramadan.
Appels à la détente en ce mois de jeûne
C’est ce droit dont ils ont été privés depuis près d’un an que de nombreux Qataris espéraient retrouver à la veille du mois de jeûne en multipliant les appels à destination des autorités saoudiennes.
En ce sens, le cheikh Ali Mohieddin al-Qaradaghi, secrétaire général de l’Union mondiale des oulémas musulmans et religieux, réputé dans la région du Golfe,a récemment exhorté dans un prêche « les Saoudiens à ouvrir les portes de La Mecque aux musulmans du Qatar pour effectuer les rites de la omra ».
À l’unisson d’autres personnalités de tous bords, il a exprimé son espoir « d’une levée du siège avant le début du mois du Ramadan afin de permettre à ceux qui vivent au Qatar de visiter les lieux saints pour la omra ».
Il faut en effet rappeler que depuis le blocus entamé le 5 juin 2017, il est impossible pour les Qataris de se rendre dans le royaume wahhabite du fait de la rupture totale et brutale des relations bilatérales. Fait unique dans la région, cette décision d’isoler le pays s’est accompagnée d’une interdiction pour les ressortissants et expatriés de l’émirat de se rendre en territoire sacré.
Deux jours après le début de l’embargo, les autorités saoudiennes avaient en effet ordonné l'expulsion arbitraire de tous les pèlerins qataris qui effectuaient leur omra.
Les images de familles abandonnées dans les aéroports saoudiens après avoir été forcées de quitter les lieux saints avaient particulièrement ému, d’autant que ces expulsions avaient été décrétées en plein mois de Ramadan. Même l’Iran, ennemi juré de Riyad, n’avait pas subi une telle humiliation.
Politisation du Hadj
Face à cette situation et sollicité par de nombreux plaignants, le Comité national des droits de l'homme du Qatar (NHRC) a récemment publié un dossier détaillant les obstacles rencontrés par les résidents et les citoyens de l’émirat pour accomplir la omra pendant ce mois de Ramadan.
Parmi ceux-ci, l’organe a précisé que le ministère du hadj saoudien a bloqué l'enregistrement électronique pour les pèlerins du Qatar contrairement à tous les autres pays du monde. Le rapport indique aussi que le ministère du Hadj a gelé tout contact avec le ministère qatari des Affaires religieuses.
À cela, il faut ajouter que l'ambassade et le consulat saoudiens basés à Doha sont fermés depuis juin 2017 (ce qui interdit tout contact avec eux), sans compter le fait que les autorités de Riyad refusent que des pèlerins arrivent à bord de vols de la compagnie Qatar Airways.
Du bout des lèvres et comme pour signifier qu’il reste quand même une option pour effectuer le pèlerinage, les autorités saoudiennes ont conseillé aux fidèles du Qatar de se rendre dans les lieux saints par des vols d’autres compagnies.
Le problème est que, quand bien même certains pèlerins du Qatar pourraient se rendre en Arabie saoudite via d’autres compagnies ou en transitant par des pays limitrophes (comme le Koweït ou Oman), leur séjour relèverait de la mission quasi impossible étant donné la fermeture du consulat qatari à Djeddah.
Sans pouvoir contacter leurs autorités de tutelle en cas de problèmes, les pèlerins seraient alors livrés à eux-mêmes, leur sécurité n’étant pas assurée par des autorités locales qui ont démontré par le passé combien elles pouvaient les laisser en détresse.
L’autre difficulté réside dans le fait que les bureaux de change et les banques saoudiennes refusent la devise qatarie, ce qui accentue la difficulté d’un tel déplacement.
Le comité des droits de l'homme monte au créneau
Décidé à monter au créneau, le NHRC a appelé les autorités saoudiennes à ne pas utiliser les rites religieux comme un levier politique, précisant que cette attitude viole la sacralité des lieux saints ainsi que les conventions internationales en matière de liberté de culte.
Preuve de cet émoi, la question a aussi suscité des réactions au sein des instances européennes. Le président de la commission des droits de l'homme au Parlement européen, Antonio Panzeri a récemment affirmé lors d’une visite à Doha que « le droit d'accomplir la omra et le hadj est un droit fondamental et que les victimes peuvent pleinement le revendiquer. »
S'adressant au quotidien anglophone Qatar Tribune, plusieurs agences de voyages qui offraient des forfaits pour la Omra ont indiqué qu'elles ne pouvaient plus poursuivre leur travail puisqu'elles n'ont pas obtenu de visas pour les pèlerins résidents dans l’émirat.
Un responsable a déclaré que son agence « ne pouvait pas proposer d'itinéraires alternatifs pour se rendre en Arabie saoudite via d'autres pays tels qu'Oman et le Koweït car les pèlerins qataris seront de toute façon dans l'impossibilité d'obtenir des visas d'entrée ».
Un coût financier
En plus du grave préjudice moral, certains relèvent aussi le coût financier d’un tel diktat, les agences spécialisées pour ce type de voyages ayant subi de lourdes pertes financières. Chaque saison en effet, plusieurs milliers de pèlerins se rendaient depuis Doha à La Mecque et Médine pour des séjours plus ou moins longs s’étalant tout au long de l’année.
Plusieurs observateurs estiment que le système des quotas pour les visas du Hadj et de la Omra sont un moyen pour Riyad d’influencer les États musulmans à aller dans son sens et à relayer ses positions.
La célèbre opposante saoudienne Madawi al-Rasheed explique ainsi à Middle East Eye que Riyad a, depuis les années 1920, traditionnellement utilisé le hadj « comme un outil politique ».
Confirmant cette thèse, le quotidien Le Monde rapportait dès l’an dernier que l’Arabie saoudite avait fait pression sur certains pays africains pour que ces derniers rompent avec Doha sous peine de voir leurs demandes de visas refusées ou les aides financières supprimées.
Ce chantage aux visas a suscité un vif émoi dans l’ensemble du monde musulman, beaucoup dénonçant une grave instrumentalisation de la carte des lieux saints pour solder un différend politique. Cette interdiction de visiter les lieux sacrés n’est malheureusement pas la première.
Par le passé, ce comportement a frappé les tenants d’autres structures ou personnalités comme ce fut le cas il y a quelques années pour le célèbre opposant politique tunisien et leader du parti Ennahda, Rachid Ghannouchi. Lors de son exil à Londres, ce dernier s’était vu notifier une fin de non-recevoir par les autorités de Riyad qui n’appréciaient pas ses appels à plus de démocratisation dans le monde arabe.
Devant une telle attitude, il n’est plus rare de voir des voix s’élever dans le monde musulman pour appeler à une gestion internationale des sanctuaires sacrés de La Mecque et Médine. Souhaitant retirer à la monarchie saoudienne la charge de ces lieux et s’insurgeant contre leur politisation abusive, plusieurs personnalités et organisations font désormais campagne pour qu’un nouveau dispositif rassemblant les pays musulmans puissent être mis en place pour assurer une gestion collégiale et apolitique.
Une version de cet article a été publiée sur le site de Middle East Eye.