Organisant pour la première fois la compétition sur son sol (c’était aussi la première fois pour le Golfe et seulement la deuxième fois pour le monde arabe), le Qatar est certainement entré dans l’histoire de ce sport collectif. Jamais en effet, une équipe non-europenne n’avait réussi à atteindre le stade de la finale de ce tournoi organisé tous les deux ans.
Une diplomatie basée sur le sport et les médias
Pour faire un bilan de ses quinze jours de compétition pour le Qatar, il faut d’abord revenir au cadre général qui donne sens à toute cette effervescence sportive dont l’émirat est l’objet.
Depuis une quinzaine d’années, le Qatar a souhaité faire du sport l’un des vecteurs majeurs de son "soft power" que l’on peut traduire par la diplomatie du rayonnement. Coincé dans une région à l’instabilité géopolitique chronique mais dépourvue de capacités militaires dissuasives, les autorités ont adopté une stratégie visant à compenser les faiblesses de leur État par une politique de visibilité.
Sortant du schéma classique de la Guerre froide, le nouvel émir, qui prend les commandes en 1995, comprend que l’heure est à la mondialisation et que la force des images et de la réputation peut parfois avoir autant d’impact que le "combien de divisions" de l’époque de Staline.
Dès lors, deux supports majeurs vont être mobilisés pour faire du Qatar un acteur qui compte sur la scène mondiale : les médias et le sport.
Le football n'est pas la seule cible de l'émirat
Avec Al Jazeera, qui va offrir au pays une notoriété d’ampleur mondiale, le sport est donc mis à l’honneur avec une volonté d’inscrire le Qatar sur tous les registres : organisation de grands événements sportifs, investissement dans des académies de formation d’excellence, achat de clubs étrangers, accueil de stars internationales dans le championnat local, naturalisation de joueurs, etc.
Même si c’est le football, en sa qualité de "sport-roi", qui fait l’objet de toutes les attentions, les autres sports ne sont pas en reste. En plus de l’athlétisme, dont l’émirat vient d’obtenir l’organisation des Mondiaux pour 2019, ou le tennis, pour lequel le Qatar organise le premier tournoi ATP de l’année, le handball dévient une cible privilégiée.
Sous la houlette du Cheikh Joaan ben Hamad al-Thani, président du comité d’organisation et frère de l’émir, le pays se lance sur ce créneau dès 2004 en organisant le championnat d’Asie.
En janvier 2011, soit quelques semaines à peine après l’attribution du Mondial de football 2022, Doha est sélectionnée pour organiser le Mondial de handball pour 2015 en devançant la délégation de la France qui, médusée, n’aura pas de mots assez durs pour fustiger ce choix.
Des pratiques qui ont agacées
Mais cette traduction sportive d’une ambition géopolitique présente des revers que le Qatar a du mal à digérer. D’abord, la question de la corruption reste lancinante, et même s'il n’y a toujours pas de preuves d’une implication directe du Qatar, le faisceau d’indices (comme la non-publication du rapport Garcia ou le bannissement à vie d’un responsable qatari de la FIFA) reste préoccupant.
De même, s’agissant du handball, la pratique des Qataris sur les naturalisations a suscité quelques réserves voire une franche hostilité. Ce que beaucoup retiendront, c’est que la sélection qatarie avait le reflet d’une équipe "reste du monde" avec des joueurs qui, à l’origine, étaient de nationalité cubaine, monténégraine, française, tunisienne, égyptienne et qui se sont retrouvés à jouer pour une équipe du Qatar où n’évoluaient que quelques enfants du pays.
Certes, la politique de naturalisation en handball est très souple et l’émirat n’a enfreint aucune loi. Il n'a même fait que recopier la pratique de certaines sélections européennes (l’Espagne ou l’Allemagne notamment) qui, par le passé, ont aussi naturalisé certaines vedettes venant d’Europe de l’Est pour renforcer leurs effectifs.
Mais ce qui change avec le Qatar, c’est l’intensité d’une telle manœuvre. Quand l’Espagne naturalisait un ou deux joueurs, le ratio pouvait atteindre les 3/4 de l’effectif pour la sélection du Qatar.
Le Qatar sortira-t-il indemne de cet épisode ?
Pour les autorités, il fallait mobiliser tous les moyens pour faire du Mondial organisé à domicile une fête mémorable. Non seulement c’était une occasion de montrer que la diplomatie sportive portait ses fruits avec une équipe nationale performante, mais c’était aussi important de bien réussir ce virage qui faisait office de test en miniature en vue du Mondial 2022.
En ce sens, avec un parcours qui a surpris et un jeu de grande qualité (l’équipe qatarie était entraînée par l’espagnol Valero Rivero tenant du titre en 2013), le Qatar peut sortir satisfait tant sur le plan sportif que sur celui de l’organisation puisque les caméras du monde entier ont pu apprécier la qualité des infrastructures high-tech offertes lors du tournoi.
Néanmoins, il n’est pas sûr que le Qatar ne sorte totalement indemne de cet épisode. En plus de la polémique sur les naturalisations ou celle d’un arbitrage non exempt de tout reproche, c’est aussi la politique des "supporters invités" qui a autant surpris qu’agacé.
Les scènes de supporters espagnols drappés dans les couleurs du Qatar avaient quelque chose de surréaliste puisque c’est certainement la première fois qu’un pays fait appel à un contingent de supporters payés pour encourager son équipe nationale…
Cette manière de faire ne pourra être reproduite
Sans compter l’envers du décor du développement spectaculaire du Qatar qui voit des ouvriers étrangers subir des conditions de vie drastiques, ces nouvelles pratiques qui sont parfois loin de l’éthique du sport renforcent cette réputation d’un émirat qui abuse de sa fortune pour s’offrir une crédibilité sportive.
Si le Qatar peut globalement sortir satisfait de son Mondial, il n’est pas sur que cette manière de faire puisse être dupliquée dans les mêmes termes lors des Mondiaux d’athlétisme que Doha organisera en 2019. Et encore moins lors du Mondial de football en 2022, qui constituera le point d’orgue de tout cet activisme qui doit faire du Qatar l’un des nouveaux épicentres du sport mondial.
Tribune initialement publiée sur le site "Le Plus-Le nouvel Obs" le 2 février 2014.