Affaire Haddad/Ben Guenna : l’arroseur arrosé

samedi, 21 septembre 2013 22:06

AlJazeera

Le jugement sur l’affaire opposant la journaliste d’Al Jazeera Khadija Ben Guenna à Mezri Haddad vient d’être rendu. Dans ses conclusions, le tribunal a confirmé qu’il y avait bien diffamation mais a accordé au polémiste tunisien le bénéfice de la bonne foi.

Cette affaire est révélatrice de l’obsession dont font preuve un certain nombre d’acteurs dans leur volonté de s’acharner sur tout ce qui se rapporte de près ou de loin au Qatar.

Le 5 février 2013, Mezri Haddad participe à l’émission « Ce soir ou jamais » diffusée sur France 3. Le thème porte sur « Qatar : ami ou ennemi public numéro 1 ? »[1]. Pendant l’émission, le farouche partisan de l’ex-dictateur Ben Ali (qui l’avait récompensé en le nommant ambassadeur de la Tunisie à l’UNESCO)  s’est lancé dans une diatribe virulente contre  la journaliste d’Al Jazeera, absente du plateau. La chaîne Al Jazeera aurait été  un média antisémite et sa  journaliste vedette aurait tenu des propos glorifiant « l’humanité d’Hitler ». Problème : les propos cités par  M. Haddad sont extraits d’un faux. Une brève recherche sur internet lui aurait démontré que la page Facebook dont il tirait ces « informations » était une page étrangère à la journaliste qui avait pris soin de s’en démarquer expressément dans un communiqué largement diffusé en anglais et en arabe où elle se désolidarisait des propos qu’on lui prêtait. Elle rappelait qu’elle était régulièrement la cible, comme nombre de personnalités, d’usurpation d’identité[2].

Qui est Mezri Haddad ?

Pour poursuivre, il nous faut revenir sur la personnalité et le parcours de Mezri Haddad. Ancien ambassadeur de la Tunisie à l’UNESCO, il  a été en France l’un des plus farouches partisans du dictateur. Il est passé à la postérité  en soutenant jusqu’au matin du 13 janvier 2011 le raïs tunisien dans un entretien sur RMC et ce, alors que la Tunisie vivait des journées révolutionnaires dramatiques. Mais il y a mieux. Champion du monde du retournement de veste, M. Haddad décida sans vergogne de se repentir le lendemain et de le faire sur l’antenne de la chaîne….AL Jazeera !  Martelant le matin que Ben Ali devait « se maintenir au pouvoir quoiqu’il arrive parce que le pays [était] menacé par les hordes fanatisées et les néo-bolcheviques qui sont leurs alliés stratégiques »[3], il faisait le soir volte-face et se désolidarisait prudemment, et pitoyablement,  du régime …

L’accusation commode d’antisémitisme

Dans sa défense, M. Haddad a fait feu de tout bois pour démontrer que la chaîne Al Jazeera est l’un des vecteurs majeurs de l’antisémitisme qui rongerait le monde arabe. Le mentor du site www.tunisie-secret.com a du mal à cacher  une stratégie qui relève avant tout du  règlement de compte avec la chaîne qui a joué un rôle déterminant dans le déboulonnage de son camp. Dans une étude réalisée en 2003, la chercheuse Luiza Toscane rapporte une autre  proximité idéologique du propagandiste tunisien : avec les milieux négationnistes cette fois ! Elle affirme que «  Mezri Haddad, actuellement rallié au régime, disait notamment de la grève de la faim du journaliste Taoufik Ben Brik en 2000 qu’ : « elle n’était somme toute qu’un complot de la juiverie et de la franc-maçonnerie »[4]. Nous sommes donc en pleine manifestation  de l’arroseur arrosé où un homme jette, sur la base d’un faux, l’anathème sur d’autres personnes en oubliant qu’il était lui-même le responsable de …vrais propos outranciers par le passé.

Quelle ligne politique anime ce curieux « intellectuel » ?  

Vouant aux gémonies les révoltes arabes, assimilées très vite à un « complot » (évidement ourdi par le Qatar), M. Haddad donnait il y a quelque temps son plan de sortie de crise de la situation en Tunisie en 7 points…étonnants[5]. Les quatre premiers suffisent à  montrer à quel point le chantre de la démocratie au Qatar ne s’embarrasse pas d’appeler ouvertement à un coup d’Etat militaire dans son pays d’origine :

1. prendre le contrôle du pays,

2. instaurer l’État d’urgence et rétablir l’ordre républicain,

3. déclarer illégitime le gouvernement de la trinité antipatriotique (Ghannouchi, Marzouki, Ben Jafaar),

4. dissoudre et déclarer illégale l’Assemblée constituante, compte tenu de son inutilité et des nombreuses irrégularités au moment des élections du 23 octobre dernier, et revenir à la Constitution de 1959.

En réalité, à défaut d’être condamné par une procédure judiciaire, Mezri Haddad l’a déjà été par le tribunal de l’honnêteté intellectuelle. Il trône pour longtemps aux premiers rangs de la liste funeste de ces intellectuels faussaires dont la probité a sombré au service de régimes despotiques.

 

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