Il y a quelques jours, Frédéric Encel était l’invité de la ville de Nice. Sa conférence portait sur le thème « Cause, réalité et perspectives dans le chaos Moyen-Oriental ». D’après le journaliste présent sur place et qui en fait l’écho sur le site de Nice Provence, l’assistance était essentiellement « communautariste ». Frédéric Encel était en effet invité par différentes loges du Bna’i Brith, réseau sioniste transnational dont l’un des objectifs prioritaires est la défense inconditionnelle d’Israël à travers le monde. Première entorse à la neutralité : quel crédit donné au discours d’un « géopoliticien » nouvellement nommé à une Chaire de relations internationales dans une école de Tel Aviv sur un sujet traitant du Proche-Orient et donc, en partie, d'Israël ? C’est comme demander à un spécialiste connu pour être financé par le Medef un exposé sur la nouvelle loi du travail. La confusion des genres voire même le conflit d’intérêt sont flagrants.
La Turquie et le Qatar dans le viseur du « géopoliticien »
De même, sur le fond, l’exposé d’Encel va tenir de la propagande plus que de la démonstration scientifique. Mentionnant les forces qui ont provoqué le désastre moyen-oriental, il avance que c’est la Turquie qui tient « la première place des forces qui soutiennent le chaos » ajoutant que « ce pays est un État islamiste totalitaire ». Ici, Encel est clairement dans la désinformation. D’une part, tous les observateurs sérieux de la région rappellent la centralité de l’invasion américaine de l'Irak en 2003 dans le processus de fabrication de la haine dans la région, ce que Encel ne mentionne jamais (rappelons d’ailleurs que l’homme était à l’époque l’un des soutiens de l’agression militaire de Georges Bush). D’autre part, affirmer que la Turquie est un Etat totalitaire relève du mensonge voire de l’aberration. On rappellera juste à Frédéric Encel que l’actuel gouvernement turc a remporté les dernières élections législatives avec un taux de participation de plus de 80% et que la Turquie d’aujourd’hui reste, malgré les reproches légitimes à faire contre l’actuel gouvernement, bien moins autoritaire que le régime militaire des dernières décennies. En venir à utiliser de telles outrances ne peut s’expliquer que par une grille de lecture partisane d’un homme qui ne va pas mentionner une seule fois la responsabilité de la politique agressive, illégale et violente du gouvernement de Benyamin Netanyahou dans la montée de l’extrémisme dans la région. Le journaliste se posera d’ailleurs cette question en ces termes : « De façon très bizarre Frédéric Encel n’a pas un mot sur Israël à tel point qu’une question lui sera posée à l’issue de sa conférence, question qu’il éludera du reste. »
L’autre grief d’Encel porte sur la responsabilité des émirats du Golfe dans le financement des groupes terroristes et notamment Daech. Comme à son habitude depuis quelques temps, il met l’accent sur la prétendue duplicité du Qatar l’accusant de faire le jeu du radicalisme islamiste. Sauf que là aussi, Encel n’apportera aucune preuve de son procès. Sur ce sujet, il recycle les mêmes fantasmes que d’autres acteurs comme le Crif ou le Front national qui répètent à l’envie que le Qatar est une source de financement de Daech. Comme s’il fallait ressasser un mensonge pour en faire une vérité, Frédéric Encel s’obstine à relayer cet écho dans ses livres, ses interventions ou ses entretiens dans la presse. La réalité, pour ceux qui connaissent ce dossier, est que le Qatar a au début de la révolte syrienne financé et soutenu des groupes syriens mais pour l’essentiel ralliés au mouvement des Frères musulmans ou à d’autres courants islamo-nationalistes. Or, comme chacun le sait, ces derniers sont en guerre ouverte avec Daech, ce qui rend caduque l’accusation selon laquelle le Qatar entretiendrait des liens avec l’organisation d’Al-Baghdadi. Devant cette obsession d’Encel de se fixer sur le Qatar (et la Turquie, comme on l’a vu), on ne peut s’empêcher de faire le lien entre sa pensée et les prises de position du gouvernement israélien. En effet, depuis des années, le cabinet d’extrême droite de Benyamin Netanyahou n’a eu de cesse de faire de la Turquie et du Qatar ses deux bêtes noires allant jusqu’à lancer une vaste campagne de diabolisation à leur égard. Encel ne serait-il pas, en France, l’un de ceux chargés de relayer cette mission ?
Un véritable double discours
Enfin, Encel a fini son exposé en prônant « le zéro tolérance à l’encontre de la cinquième colonne ». Pour lui, ces derniers ont représenté par « ces intellectuels français qui affichent une complaisance délétère à l’égard des islamistes radicaux, tels Edwy Plenel et son site internet Médiapart ou encore Pascal Boniface. » Ce propos est pour le coup plus que partisan. Il est indécent car il ne fait que jeter en pâture la réputation d’intellectuels français qui, parce qu’ils ne partagent pas la pensée d’Encel et dénoncent le radicalisme de l’Etat israélien (tout comme le radicalisme lié à l’islam) se trouveraient sur le banc des accusés. Ici, nous ne sommes plus dans le débat d'idées mais dans la calomnie. Ces derniers temps, on a souvent parlé du double discours de Tariq Ramadan. Jamais démontré pour l’intellectuel suisse, il serait temps que des journalistes s’intéressent au double discours d’Encel. Lisse, courtois et apparemment neutre sur les plateaux. Mais particulièrement agressif, partisan et manipulateur dans d'autres circonstances. Signe des temps, alors que la quasi totalité des personnalités publiques ont en France un compte Twitter ou une page Facebook, Frédéric Encel, lui, préfère déserter les réseaux sociaux. Peut-être pour ne pas dévoiler ses multiples activités communautaires?