Même si les gouvernements changent, les intérêts demeurent. Sur le plan économique et celui de la coopération militaire, l’Elysée aura tout intérêt à préserver ses parts de marché.
La France continuera à fournir une grande partie de l’équipement militaire de l’armée qatarie et les besoins de développements de l’émirat sont proprement gigantesques. En prévision de l’organisation des grandes compétitions internationales qu’il va accueillir (notamment Mondial de handball en 2015 et surtout la Coupe du monde football en 2022) le Qatar a prévu un plan d’investissement de 140 milliards de dollars. Afin de s’emparer d’une part du gâteau et éviter que ce ne soient les entreprises anglo-saxonnes qui se taillent la part du lion, les entreprises françaises devront donc compter sur un solide axe Paris-Doha.
Qu’il s’agisse de l’immobilier, des prises de participation dans les grands groupes industriels ou du sport, le Qatar continuera à faire ses emplettes. Preuve de la persistance de cet engouement, la récente acquisition par le Qatar Investment Authority de l’immeuble Virgin sur les Champs-Elysées pour un montant avoisinant les 500 millions d’euros.
Il y a quelques semaines, l’un des responsables de ce fond souverain (dont le portefeuille d’actifs dépasserait les 100 milliards de dollars) annonçait vouloir investir pour l’année 2012 30 milliards de dollars dans des sociétés étrangères. Classé par le FMI comme pays le plus riche au monde (par habitant) et bénéficiant d’une croissance de près de 20% par an, le Qatar a donc des arguments de poids pour maintenir des relations privilégiées avec la France.
En ces temps de crise où l’argent public se fait rare, on devine facilement que la manne qatarie continuera à être perçue d’un bon œil à Paris.
Sur le terrain diplomatique, on peut aussi s’attendre à une relative continuité même si certains au Quai d’Orsay souhaitent tourner la page du « Tout-Qatar » et plaident pour un rééquilibrage des relations avec d’autres partenaires du Golfe. Cependant, face à la dégradation de la situation en Syrie, on peut faire l’hypothèse que l’émirat restera au centre des attentions françaises. Le Qatar avait apporté un soutien décisif à la France lors de l’opération militaire de l’Otan en Lybie. L’émirat, en plus de son appui militaire et logistique sur le terrain, avait servi de caution arabe, permettant ainsi de désamorcer les critiques de croisade occidentale.
La logique sera certainement la même pour la Syrie car Paris et Doha sont en phase sur cet épineux dossier et mettent la pression pour un départ de Bachar Al Assad. Quand François Hollande n’exclut plus une opération militaire sous l’égide de l’ONU, il ne fait que rejoindre la position de l’émir du Qatar qui avait été le premier chef d’Etat arabe à envisager l’envoi de troupes pour mettre un terme à l’effusion de sang. Réunies hier à Jeddah, c’est l’ensemble des monarchies du Golfe qui, à l’unisson, demandent aux Nations Unies d’intervenir en Syrie dans le cadre du chapitre 7. Autrement dit, un recours à la force est aujourd’hui clairement envisagé.
Si l’hypothèse d’une intervention armée venait à voir le jour, l’appui diplomatique, médiatique (Al Jazeera) et psychologique du Qatar devrait donc, une fois de plus, s’avérer déterminant.
En revanche, le caractère personnalisé de la relation France-Qatar sera mise de côté. Dès son accession au pouvoir, Nicolas Sarkozy faisait l’honneur à l’émir du Qatar d’être le premier chef d’Etat arabe accueilli à l’Elysée. Reçu en grandes pompes quelques semaines plus tard lors des cérémonies du 14 juillet, l’émir et son épouse allaient faire de Paris l’une de leur destination préférée.
La lune de miel s’était même poursuivie avec les deux premières dames qui partageaient la même passion pour la mode, s’affichaient régulièrement ensemble et passaient même des moments en vacances. On imagine que le président « normal » souhaitera une relation plus mesurée, moins fringante et moins personnelle. Le « partenariat stratégique » avec Doha sera préservé mais avec la médiatisation en moins.
Enfin, un certain nombre de dossiers restent en suspens. Parmi ceux-ci, l’avenir du plan d’investissement pour les banlieues ne semble pas arrêté. Annoncé en décembre dernier suite à la visite au Qatar de plusieurs élus locaux de la diversité, ce fond avait été mis en sourdine pendant la campagne électorale, Doha ne souhaitant pas devenir un sujet de polémique. Mais la charge de plusieurs personnalités qui avaient mis en garde contre une intrusion trop grande de l’émirat a laissé des traces.
On ne sait donc toujours pas si ce fond sera effectivement mis en place d’autant que l’actuel ambassadeur du Qatar à Paris (et porteur du projet) devrait, selon certaines sources, quitter la capitale. De même, des rumeurs font état du lancement prochain d’un canal francophone de la chaîne Al Jazeera. Durant la présidence Sarkozy, ce dossier faisait partie du pacte entre les deux capitales, le président français ayant visiblement insisté auprès de l’émir pour ne rien lancer qui puisse faire de l’ombre à la chaine France 24. Il n’est pas anodin de noter que la fuite est apparue quelques jours après la défaite du candidat UMP. Manière de dire que les Qataris ne sont plus liés et que désormais les cartes sont rebattues ?
Source : http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/06/06/la-lune-de-miel-entre-la-france-et-le-qatar-est-elle-finie-232784