Si ces résultats ont été le signe de la vitalité de la démocratie turque, ils ont été différemment perçus dans le reste du monde, particulièrement au Moyen-Orient où les réactions ont diamétralement été opposées. On s'attendait à ce qu’Israël soit peiné de voir un tel succès pour un parti qui n'a pas hésité ces dernières années à fustiger la politique répressive et illégale du gouvernement d'extrême-droite de Benjamin Netanyahu. De même pour le régime de Bashar al-Assad qui se désole (par un silence gêné) de voir son grand rival, soutien du peuple syrien depuis le début de la révolte, être conforté dans sa politique. Ou du gouvernement putschiste au Caire qui n'a toujours pas accepté le soutien constant d'Erdogan au président légitime, Mohamed Morsi. Il en va de même pour le gouvernement des Emirats arabes unis : le principal bailleur de fonds de la junte militaire égyptienne semble lui aussi déçu pour ne pas dire en colère de voir l'AKP poursuivre sa domination de la vie politique du plus puissant des pays du Moyen-Orient. Il y a d'ailleurs des signes qui ne trompent pas dans cette reconfiguration de l'équation stratégique du Moyen-Orient : le gouvernement émirati a fourni du pétrole au régime de Damas via son allié égyptien.
Mais finalement, cet alignement de ces quatre pays n'est guère surprenant. Israël, l'Egypte et les Emirats arabes unis sont unis depuis maintenant deux ans dans une politique d'hostilité envers la résistance palestinienne et dans un soutien quasiment ouvert envers la frange radicale du gouvernement de Tel Aviv. Preuve en est, la décision du Caire et d'Abou Dhabi de voter en faveur d’Israël lors de la résolution de l'ONU qui a désigné les membres du comité des Nations Unies pour l'utilisation pacifique de l'espace... C'est la première fois dans l'histoire de l’institution que plusieurs pays arabes votent ainsi en faveur de l'Etat hébreu. Cette posture est une nouvelle démonstration de l'axe "sioniste arabe" que nous analysions dans une récente contribution. Quant au régime de Bashar al-Assad, il ne fait que suivre sa politique d'éradication de l'organisation des Frères musulmans à l'intérieur de ses frontières (avec la mécanique répressive qu'il déploie avec une indicible cruauté depuis plus de quatre ans) et de diabolisation de cette confrérie à l’extérieur. Signe de cette stratégie, Bashar al-Assad avait aussi été, aux côtés d'Israël et des Emirats arabes unis, l'un des régimes de la région qui avaient applaudi le coup d'Etat militaire en Egypte en juillet 2013.
D'un autre côté, parmi les Etats et les acteurs qui se sont ouvertement félicités de cette nouvelle victoire, on trouve le Qatar, les mouvements de la résistance palestinienne ainsi que certains groupes d'opposition syriens. Ces expressions de solidarité sont un nouveau signe de cet axe Qatar-Turquie-Palestine qui s'était déjà manifesté lors de la guerre de l'été 2014. S'exprimant au nom de toutes les factions palestiniennes, Abou Oubeida, le chef des brigades militaires du Hamas avait nommément cité le Qatar et la Turquie comme les deux pays (sur trois) qui avaient soutenu la résistance pendant l'épreuve de force avec l'armée israélienne. Signe des temps : il y a quelques jours, les forces militaires qatariennes et turques ont réalisé leur premier exercice commun. Cet manœuvre entrait dans le cadre de l'application de l'accord de décembre 2014 qui prévoit l'installation d’une base permanente turque dans l'émirat. C'est la première fois depuis la fin de l'empire ottoman que la Turquie déploie une telle présence militaire à l’extérieur de ses frontières.