L’intransigeance du régime syrien
Il faut d’abord revenir aux fondamentaux du conflit. Portée par le vent de liberté qui a balayé les régimes de Ben Ali et Moubarak, la révolte est née d’une volonté populaire de se libérer d’une dictature militaire qui étouffait la vie du citoyen syrien.
D’abord pacifique, le mouvement de protestation a été contraint à la militarisation du fait d’une répression aveugle dénoncée par plusieurs organisations de défense des droits humains.
Comme le souligne le journaliste Alain Gresh :
« Par son refus de s’engager dans des réformes sérieuses et un dialogue avec l’opposition, par son usage indiscriminé de la violence contre des manifestations qui, pour l’essentiel, restaient pacifiques, par un usage généralisé de la torture, il [Bachar el-Assad] a contribué à la montée de la violence, au passage d’une partie de l’opposition à la lutte armée ; il a, d’un même mouvement, favorisé les ingérences qu’il prétendait vouloir combattre. »
Tout porte à croire que c’est donc l’intransigeance du régime qui est la cause première de la régionalisation du conflit et de l’ingérence de puissances extérieures.
La rupture entre le Qatar et le régime syrien
Se cantonnant dans un premier temps dans un rôle d’attente, la réaction du Qatar s’est faite de manière progressive. Au début du mois de mai 2011 (soit près de deux mois après les premières manifestations), la rencontre houleuse entre Bachar el-Assad et le premier ministre qatari a signé la fin de l’idylle entre les deux pays.
Cette rupture constitue un changement radical de la diplomatie de l’émirat car depuis l’accession au trône de Cheikh Hamad, le Qatar a été, jusqu’à la fin des années 2000, le fer de lance de l’établissement d’un axe diplomatique fort avec la Syrie et l’Iran dont le but était de faire contrepoids au tandem Egypte-Arabie saoudite.
Pendant une dizaine d’années, la scène régionale du Golfe a été rythmée par cet antagonisme qataro-saoudien, Doha prenant constamment le contrepied des choix diplomatiques de son puissant voisin.
Mais depuis l’avènement du Printemps arabe, les cartes de l’équation régionale ont totalement été rebattues et le Qatar a très vite saisi l’intérêt de se placer du bon côté de l’Histoire. Se rapprochant de Riyad qui nourrissait depuis longtemps une profonde aversion pour le régime bassiste de Damas, Doha a préféré lâcher son ancien allié en misant sur une chute progressive du régime et ramasser les dividendes politiques d’une transition rapide.
Comme lui ont montré les scénarios tunisien et égyptien, l’émirat a compris qu’il devenait rentable de soutenir des révoltes populaires qui débouchaient sur la victoire électorale de formations islamistes dont la plupart avaient trouvé refuge à Doha durant la période précédant les révolutions.
Doha prend le parti de la révolution
Dès l’été 2011, les autorités qataries décident donc de prendre fait et cause pour la révolte syrienne et en font l’élément central de leur dispositif diplomatique.
Au diapason des autres monarchies du Golfe, le pays entraîne l’ensemble de la Ligue arabe et plaide pour l’exclusion de la Syrie de l’organisation panarabe. Prenant la tête du Groupe d’amitié pour le peuple syrien et multipliant les initiatives diplomatiques à Doha appelant à sanctionner le régime de Bachar el-Assad, le pays est le premier à demander ouvertement l’envoi de troupes pour « mettre un terme au bain de sang ».
Comme pour la Libye, l’émirat va mobiliser ses puissants leviers pour faire tomber un régime aux abois. Devant « l’archipel de la terreur » dénoncé par Human Rights Watch, la chaîne Al Jazeera et Cheikh Youssouf Al Qardawi (mufti officieux du régime) vont mobiliser l’opinion publique arabe pour soutenir et relayer les doléances des manifestants syriens.
La question des armes
En plus du soutien financier, diplomatique et médiatique, la question en suspens est la part du Qatar dans l’envoi d’armes à la rébellion syrienne. Même si cette livraison fait souvent l’objet d’estimations exagérées (notamment sur la Toile) elle est bien réelle mais n’est pas le fruit d’un engagement direct de l’armée qatarie.
La crise syrienne suscite un très vaste élan de solidarité auprès des opinions publiques du Golfe et c’est davantage le transfert massif d’argent qui permet à l’opposition syrienne de s’acheter des armes sur le marché noir.
A la différence de la Libye, il n’y a pas de résolution onusienne qui permettrait de couvrir une intervention étrangère et tant qu’il n’y aura pas de mandat international, Doha poursuivra ses livraisons indirectes.
Le « péril chiite »
L’engagement du Qatar doit aussi se comprendre à l’aune de la configuration politico-religieuse régionale. La crise syrienne a fait monter à son paroxysme l’antagonisme sunnite-chiite, et c’est désormais largement par ce prisme que sont appréciés les soubresauts régionaux.
La répression du soulèvement au Bahreïn en est un exemple révélateur : écrasée avec le concours des forces du Conseil de coopération du Golfe, la majorité chiite du petit royaume n’a suscité quasiment aucune empathie auprès des populations sunnites de la région.
A l’inverse, cette « révolution occultée » fait l’objet d’une mobilisation permanente des autorités iraniennes et plus globalement des populations chiites du Liban à l’Irak.
Dans un univers moyen-oriental où, pour reprendre l’expression du chercheur Olivier Roy, « le clivage entre chiites et sunnites devient plus fondamental que le conflit israélo-palestinien », la perspective de voir aujourd’hui s’effondrer le régime syrien, pièce majeure de l’arc chiite, est de nature à réjouir Saoudiens et Qataris.
Même si la chaîne Al Jazeera a organisé plusieurs débats ces dernières semaines pour prévenir des risques de l’enfermement confessionnel des révoltes arabes, la sensation du péril chiite domine les représentations. Cette perception se voit renforcée par la pression de nombreux milieux religieux qui souhaitent en découdre avec le régime d’Assad, dominé par les Alaouites considérés comme une secte hérétique.
Source : www.rue89.com/2012/09/12/quel-role-joue-le-qatar-dans-la-revolution-en-syrie-235276