Caroline Fourest accuse le CCIF d’être financé par le Qatar. Mais qui finance Caroline Fourest ?

mercredi, 02 octobre 2013 21:38

logo-ccifMardi 1er octobre 2013, la chronique de Caroline Fourest sur France Culture portait sur le thème de l’islamophobie et de l’hypothétique « confusion sémantique » à laquelle le mot donnerait lieu. La polémiste y a défendu sa théorie consistant à réfuter la réalité d’un phénomène que plusieurs ouvrages récents, notamment d’universitaires, sont venus démontrer. Dans sa charge, Fourest a accusé le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) d’être financé par le Qatar. Décryptage.

L’accusation gratuite et sans fondement d’un financement du Qatar

La méthode a prouvé son efficacité depuis fort longtemps : calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose. En somme, c’est exactement ce qu’il s’est passé ce mardi matin. En journaliste d’investigation qu’elle se prétend être, on imagine que Caroline Fourest a dû batailler pour démasquer le financement étranger du CCIF. Comment a-t-elle fait puisque, si l’on prend le temps de regarder de plus près, cette accusation repose sur du vide.

Mais il faut rendre à César ce qui lui appartient. La paternité de cette accusation revient à un autre « journaliste » (le pourquoi des guillemets va apparaître très vite). Dans un ouvrage collectif (« Qatar, les nouveaux maîtres du jeu »), paru aux éditions Demopolis en mars 2013, Willy Le Devin avait signé un chapitre consacré au rôle du Qatar dans l’organisation de l’islam de France. De mensonge en approximation, notre « journaliste » s’est efforcé d’y « dévoiler » un plan caché du petit émirat : tisser sa toile auprès des musulmans français. Dans sa ligne de mire : l’auteur de ces lignes, et, avec lui, le CCIF, Tariq Ramadan, l’UOIF etc. La bande à Kader, quoi. Sur quelle base appuyait-t-il son argumentaire ? Sur des « rumeurs » d’une part, dont on attend toujours de savoir ce qui les fondait. Sur de sérieuses erreurs ensuite, le fait de confondre les deux Marwan Mohammed, l’un universitaire et chercheur au CNRS, et l’autre statisticien et porte-parole du CCIF. Une boulette que n’aurait jamais faite un journaliste digne de ce nom. Finissant le paragraphe censé démontrer la réalité d’un financement par le Qatar du CCIF, Willy Le Devin conclut : « Mais là encore, la rumeur n’a donné lieu à aucune confirmation officielle ». CQFD ! Tout le chapitre est à l’avenant et le site www.al-kanz.org a démontré point par point dans un article au titre cinglant (« Il faut sauver Willy »[1]) l’ampleur et le caractère systématique de la désinformation. Quelques semaines plus tard, Willy Le Devin sévissait une nouvelle fois dans un dossier en Une du journal Libération. Reprenant grosso modo le même schéma, il recyclait son matraquage mais cette fois-ci en y ajoutant quelques pépites nouvelles. Echantillons : un témoignage grossièrement manipulé d’Abdelaziz Chaambi[2], militant connu contre l'islamophobie, l’ajout d’éléments fantaisistes tel le fait que l’UOIF compterait en France « un million de sympathisants » et que le centre de recherche de Tariq Ramadan basé à Doha serait « calibré pour faire de l’émirat un nouveau califat régnant sur le monde sunnite. » (Rien que ça). Et d’autres « rumeurs » du même sérieux. Contrairement à Mélenchon, nous ne traiterons pas ce journaliste de Libé de « voyou ». Nous nous contenterons du surnom qui lui a été décerné sur Twitter : Willy est un « rumoriste »[3].

Il faut donc décharger Caroline Fourest de ce dont elle n’est pas responsable. La « serial-menteuse », pour paraphraser Pascal Boniface, n’a fait que reprendre un poncif utilisé uniquement par les « journalistes » en manque de sensationnel. Mais la sortie hasardeuse de la chroniqueuse nous amène à poser une autre question qui fait écho à son accusation gratuite : par qui la lauréate de la prestigieuse « Ya Bon Award 2012 »[4] est-elle elle même financée ?

Fourest, financée par qui ?

Ce n’est pas la première fois que notre polémiste use du procédé très malsain consistant à « affubler » ses adversaires politiques d’un « financement extérieur ». En juin 2011, le géopolitologue Pascal Boniface remarquait que «déjà à l'origine des rumeurs sur Martine Aubry « pro-islamiste », avec son livre « La tentation obscurantiste » où elle mettait en cause son mari avocat, Fourest remporte un deuxième succès sur le thème « les financements louches de l'IRIS » ». La technique est rôdée : ne supportant pas d’avoir été mise en cause dans l’ouvrage « Les intellectuels faussaires »,  Caroline a souhaité faire diversion en tentant de jeter le discrédit sur le financement de l’Institut que dirige Pascal Boniface. Bien sur ces grossières inculpations n’ont jamais abouti[5].

Il convient donc aujourd’hui de s’intéresser à celle qui « squatte les écrans et les radios dès qu'un des sujets auxquels elle s'intéresse est au programme »[6]. La grande différence entre Caroline Fourest et les autres intellectuels du débat public (les vrais) c’est qu’elle a fait de son entreprise de propagande un métier. Contrairement à ceux qui travaillent dans des universités ou des centres de recherche et qui ont parfois eu à payer cher leurs prises de position politiquement incorrectes, Fourest n’a pas à s’embarrasser de ces prises de risque. Elle a fait de son engagement partisan sa profession et passant de Radio France à Charlie Hebdo, elle a pu ces dernières années prêcher sans se soucier de ses fins de mois. C’est certainement Esther Benbassa, sénatrice et écrivain antiraciste, qui résume le mieux cette lucrative confusion des genres : « Pour elle, les causes, c'est du business. Fourest, c'est une affairiste qui fait commerce d'idées. C'est une boutique qui marche et qui renouvelle ses articles. Une bonne affaire »[7].    

Mais il y a mieux, ou plus gênant encore. En février 2013, la Mairie de Paris faisait preuve d’une largesse inhabituelle en attribuant 12 000 euros à une revue Prochoix (dirigée par Caroline Fourest et son amie Fiametta Venner)  qui ne paraissait plus depuis… novembre 2011. Prise au dépourvu, la propagandiste a réagi de manière confuse en antidatant des textes sur son blog afin de désamorcer ce qui commençait à s’apparenter à un véritable scandale[8]… Fourest est néanmoins réapparue de plus belle en revenant sur ses terres de prédilection : la laïcité, l’islam, le communautarisme. Son portrait dressé par Le Monde précise : « Sa déclaration de guerre au port du voile lui a, en effet, ouvert les portes du club très fermés des intellectuels médiatiques comme Elisabeth Badinter ou Bernard-Henri Lévy. Dans ses réseaux, elle peut aussi compter sur Philippe Val ou l'ambassadeur pour les droits de l'Homme François Zimeray »[9]. François Zimeray connu également pour être un fervent partisan de l’Etat d’Israël et sa politique d’occupation des territoires palestiniens.

La lancinante ficelle du Qatar

Caroline Fourest a souhaité jouer sur la ficelle très en vogue du financement du Qatar. Il est vrai que le petit émirat est devenu une usine à fantasmes et la porte ouverte à toutes les insinuations. De l’acquisition du PSG à l’achat du Printemps en passant par le Mondial 2022, l’imaginaire collectif s’est imprégné d’une image sulfureuse d’un pays machine à corruption. Hier, c’est le président de la Fédération française de tennis, Jean Gachassin, qui fustigeait « l’attaque du Qatar » qui aurait proposé aux 100 meilleurs joueurs mondiaux de zapper Roland Garros au profit d’un tournoi mieux rémunéré dans l’émirat. Devant l’inconsistance de ces déclarations, le patron du tennis français s’est rapidement rétracté en présentant des excuses, mais cette histoire révèle la propension de mettre le Qatar à toutes les sauces. Le Qatar n’est évidemment pas exempt de tous soupçons. Son marketing d’Etat agressif peut effectivement nourrir une certaine méfiance et la condition exécrable qu’il réserve aux ouvriers asiatiques qu’il emploie massivement mérite d’être dénoncée sans la moindre réserve[10]. Mais Caroline Fourest va plus loin. Elle pensait qu’il était possible de surfer sur la vague en glissant une disquette qui passerait inaperçue (pardon de l’expression mais vous m’avez compris). Dommage pour elle, la voilà démasquée. A moins que, pour sa défense, elle nous révèle que cet article a été piloté depuis Doha . Ce ne serait qu’une Fouresterie de plus.

Nabil Ennasri.



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