Le journaliste séjournait en Allemagne depuis quelques jours dans le cadre de son émission "Bila Houdoud" pour un entretien en direct avec le célèbre spécialiste de la politique étrangère allemande Guido Steinberg. L'entretien qui portait notamment sur la relation entre Berlin et certains pays arabes, notamment l'Egypte, fut diffusé mercredi dernier.
Des accusations peu crédibles
Dans une courte vidéo diffusée par la chaîne qatarie, Ahmed Mansour explique pour sa part qu’il ne fait l’objet d’aucun mandat d’arrêt émis par Interpol. En effet, en novembre 2013, le procureur égyptien avait demandé à son homologue qatari et à Interpol d’arrêter Ahmed Mansour, qui possède la double nationalité égyptienne et britannique, accusé d’avoir « torturé » un avocat sur la place Tahrir lors du soulèvement populaire en 2011. Condamné par contumace dans une parodie de procès le 14 octobre 2014, Interpol avait rejeté la demande des autorités égyptiennes le 21 octobre dernier, jugeant que la demande « ne répondait pas aux règles d’Interpol ».
Se basant sur cet historique, Ahmed Mansour s'est montré confiant et a précisé que les services du procureur général doivent désormais examiner une demande d'extradition avant de passer devant un juge d'instruction dimanche matin qui statuera sur cette demande. Il a ajouté qu'"il est ridicule qu'un pays comme l'Allemagne respecte et soutienne une telle demande faite par un régime dictatorial comme celui que nous avons en Egypte". « La question reste maintenant de savoir comment le gouvernement allemand et Interpol sont devenus des outils dans la main du régime sanglant issu du coup d’Etat en Egypte mené par le terroriste Abdel Fattah al-Sissi » a t-il encore insisté dans une autre intervention téléphonique diffusé par la chaîne qatarie.
Cette arrestation survient après la visite du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à Berlin, le 3 juin dernier. Une visite très controversée, notamment dénoncée par les ONG qui luttent pour la défense des droits de l'homme mais aussi par le président du Bundestag, Norbert Lammert, qui avait même refusé de recevoir al-Sissi.
En outre, une pétition largement relayée sur les réseaux sociaux vient d’être lancée demandant aux autorités allemandes la libération du journaliste. De toute évidence, les autorités du Caire cherchent à faire taire Ahmed Mansour et plus largement Al Jazeera. Ces derniers temps, elles se sont lancées dans une guerre ouverte contre les journalistes de la chaîne, comme en témoigne l’acharnement à répétition dont certains d'entre eux font l’objet.
Des condamnations en série
Cette arrestation arrive à un moment où Al Jazeera continue de susciter le courroux de certains gouvernements, particulièrement celui du raïs égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Le 11 juin dernier, la Cour pénale du Caire a décidé de reporter pour la dixième fois, le procès en appel des trois journalistes d’Al Jazeera au 25 juin. Pour rappel, l’égyptien Baher Mohamed, l’égypto-canadien Mohamed Fadel Fahmy et l’australien Peter Greste avaient été arrêtés au Caire le 29 décembre 2013 et condamnés lors d’une parodie de procès le 23 juin 2014 à des peines de 7 à 10 ans de prison fermepour « soutien au terrorisme », « diffusion de fausses informations » et « atteinte à la sécurité nationale ». Cette affaire avait provoqué un tollé international et a largement été relayé sur les réseaux sociaux. Une mobilisation qui s'est traduite par l'utilisation du Hashtag #FreeAJSTAFF qui a été tweeté plus de 450000 fois l'an dernier. Des centaines d'intellectuels et de journalistes anglophones de plusieurs médias tels que la BBC ou CNN se sont mobilisés pour dénoncer cette atteinte à la liberté de la presse. Il en a été de même pour des hommes politiques comme le premier ministre britannique David Cameron ou encore le président américain Barack Obama qui ont vigoureusement dénoncé cette sentence et exigé la libération des journalistes.
Les deux journalistes Mohamed Fahmy et Bader Mohamed ont été libérés le 12 février. Peter Greste a été expulsé du pays le 1er février en vertu d’un décret présidentiel émis quelques mois plus tôt. Aucun des trois journalistes n’a, pour l’heure, été acquitté.
La situation de la liberté de la presse est très inquiétante en Egypte qui est considérée comme l'une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. Le pays figure à la 159ème place sur 180 du Classement 2014 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Des contrats en échange d'un oubli des droits de l'homme?
La question que se pose plusieurs observateurs est de savoir pourquoi l'Allemagne a-t-elle décidée d'embrayer le pas aux demandes d'un gouvernement qui s'est rendu coupable de graves violation des droits de l'homme? D'après certains, il ne faut pas chercher très loin puisque c'est tout simplement la raison d'Etat la plus froide qui l'a emporté dans cette affaire. En effet, lors de son dernier passage à Berlin, al-Sissi a signé un contrat mirobolant de 8 milliards de dollars avec Siemens portant sur l'énergie. D'autres accords commerciaux sont encore sur la table des négociations. Nul doute que cette arrestation entre dans le cadre d'un "deal" ou l'Allemagne souhaite donner des gages de bonne volonté à un gouvernement qui doit encore dépenser des milliards de dollars pour moderniser le pays. C'est d'ailleurs la thèse de l'intéressé qui voit dans son arrestation une forme de marchandage indigne d'une grande démocratie. Soutenant son journaliste, la chaine qatarie a officiellement demandé sa libération.
Dit autrement, avec cette arrestation jugée illégale selon plusieurs experts en droit international, l’Allemagne déclare ouvertement son soutien au président al-Sissi arrivé au pouvoir à la faveur d’un Coup d’Etat fomenté par l’armée égyptienne le 3 juillet 2013. Et si Ahmed Mansour est in fine livré aux autorités égyptiennes, nul doute que le gouvernement allemand sera énergiquement dénoncé pour avoir piétiné les règles de la liberté de la presse et de la défense des droits humains. "L'affaire Ahmed Mansour" n'est donc pas prête de se conclure.