Le mois dernier, il est monté au créneau en saisissant la Cour internationale de Justice (CIJ) contre son principal rival en raison « des violations continues des droits humains commises dans le cadre de la politique discriminatoire adoptée par les Émirats arabes unis ».
Si Doha a nommément assigné Abou Dabi et non l’Arabie saoudite, Bahreïn ou l’Égypte, c'est parce que ces trois pays ne sont pas signataires de la convention de la CIJ.
Dans sa plainte, le Qatar accuse son voisin d’enfreindre les termes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD). Au total, on estime à environ 13 000 le nombre de civils ayant subi les contrecoups du blocus.
Parmi les mesures dénoncées par Doha figurent des expulsions injustifiées, l'interdiction pour des Qataris d'entrer ou de transiter par les Émirats, la confiscation arbitraire de biens détenus par des Qataris et une discrimination manifeste à l’encontre de ses étudiants.
Pour appuyer sa plainte, le pays s’est basé sur de nombreux rapports d’ONG comme ceux d’Amnesty international, de Human Rights Watch (HRW) ou du Comité national pour les droits de l’homme.
Saisie le 12 juin dernier, la Cour a donc indiqué dans une ordonnance votée par huit voix contre sept qu’« il s’avère que certains des actes dont le Qatar tire grief peuvent constituer des actes de discrimination raciale ».
À titre d’exemple, elle cite « le droit de se marier et de choisir son conjoint, le droit à l’éducation, ainsi que le droit à la liberté de circulation et le droit d’accès à la justice ». Ces éléments donnent sans équivoque raison au Qatar et placent le gouvernement d’Abou Dabi sur le banc des accusés.
Un tournant dans la crise du Golfe
Par conséquent et afin de garantir aux victimes la possibilité d’obtenir réparation, la Cour estime que les Émirats arabes unis se doivent de veiller au respect des droits des « familles qataro-émiraties séparées suite aux mesures adoptées depuis le 5 juin 2017 ».
Dans une allusion directe aux victimes étudiantes de l’embargo dont certaines ont brutalement été interdites de passer leurs examens de fin d’année (voyant ainsi une année entière de scolarité être sacrifiée), les juges ont indiqué que les autorités émiraties avaient la responsabilité de leur laisser le soin de « terminer leurs études aux Émirats arabes unis ou d’obtenir leur dossier scolaire ou universitaire s’ils souhaitent étudier ailleurs ». L’ordonnance ajoute également que « les Qataris affectés par les mesures adoptées par les Émirats arabes unis (…) doivent avoir accès aux tribunaux et autres organes judiciaires de cet État ».
Du côté d’Abou Dabi, la réponse officielle s’est bornée à contester, comme depuis le début de la procédure, l’introduction de ce genre de mesures discriminatoires allant même jusqu’à mettre en doute la compétence de la CIJ à trancher ce type d’affaires.
Le Qatar, par la voix de son sous-secrétaire d’État Mohamed al-Khelaïfi présent à La Haye, s’est quant à lui dit « satisfait de cette décision » en réitérant sous souhait de dialoguer sur la base de principes respectant la souveraineté nationale de chaque État.
Même si la décision de la CIJ demeure non contraignante, sa résonance internationale place la riche fédération dans la posture du mauvais élève en matière de respect des normes internationales. Mais surtout, elle vient s’ajouter à une série d’épisodes qui mettent le gouvernement d’Abou Dabi dans un embarras comme rarement il en a connu par le passé.
Le pays est en effet de plus en plus sous le coup de lourdes critiques internationales du fait de son régime policier ou de ses intrusions malvenues dans différentes lignes de faille du Moyen-Orient. Récemment, c’est Amnesty international qui est monté au créneau, dénonçant la responsabilité d’Abou Dabi dans l’administration des prisons secrètes au sud-Yémen au sein desquelles les violations des droits de l’homme sont monnaie courante.
De même, la récente offensive meurtrière sur le port de Hodeida a suscité une levée de boucliers, notamment d’acteurs occidentaux qui se sont alarmés du fait qu’Abou Dabi se jette à l’assaut d’une ville d’où arrive une grande partie de l’aide humanitaire. Destinée à soulager la population civile d’un pays meurtri par trois ans de conflit, son acheminement avait été mis en péril par l’opération émiratie.
Cette situation a poussé certains pays à réagir. La Norvège par exemple, a décidé de cesser d’exporter des armes à destination des Émirats, précisément du fait des crimes de guerre commis au Yémen.
En France, des dizaines de parlementaires (dont plusieurs de la majorité parlementaire) ont demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur l’utilisation des armes et matériel militaire livré à Riyad et Abou Dabi.
Longtemps à l’écart des critiques et souvent considérée comme une destination touristique à la mode, la fédération commence désormais à pâtir sérieusement de ses agissements qui écorchent sa réputation internationale.
Une version de cet article a été publiée sur le site de Middel East Eye.