Ouvriers, ressortissants français bloqués : le Qatar à la croisée des chemins

lundi, 18 novembre 2013 18:21

archives-ouvriers-asiatiques-sur-un-chantier-au-qatar-2006-11000148zfkof 1713Amnesty international a publié ce lundi 18 novembre un rapport peu reluisant sur la condition des ouvriers étrangers au Qatar. Ce dossier s'ajoute aux précédents travaux présentés par d'autres organisations qui pointent les déficiences de l'émirat. A l'approche du Mondial 2022, la pression s'intensifie sur les dirigeants du pays. Décryptage.

« Exploitation », « travail forcé », « scandale humanitaire », « otages français », « prison à ciel ouvert » etc. Telles sont quelques unes des expressions utilisées ces dernières semaines pour qualifier la situation des droits de l’homme au Qatar. Depuis les révélations du Guardian fin septembre, pas un jour ne passe sans que Doha ne fasse l’objet d’un reportage ou d’un dossier de presse démontrant la face cachée de l’émirat.

L’urgence de réformes nécessaires

Il y a clairement au Qatar des situations intolérables et la condition déplorable des ouvriers asiatiques en fait partie. Révélée au grand jour par l’enquête du journal britannique, cette situation a fait l’objet d’autres rapports qui vont tous dans le même sens. Qu’il s’agisse de la mission syndicale internationale, celle menée par le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits des migrants François Crépeau ou du rapport présenté hier par Amnesty international, les conclusions sont sans appel. Une grande partie de la main d’œuvre étrangère qui travaille dans les immenses chantiers de la Coupe du monde 2022 subit de multiples privations qu’il est du devoir du Qatar de corriger. Selon le dernier rapport d’Amnesty, l'exploitation de ces ouvriers "s'apparente dans certains cas à du travail forcé."

En plus de cette situation tragique, le Qatar est également mis à l’index du fait du blocage de plusieurs ressortissants français à Doha. Ceux-ci, parmi lesquels Zahir Belounis ancien footballeur international qui vient d’adresser un courrier à Zidane et Guardiola pour les alerter sur son sort, sont retenus dans l’émirat à cause de sombres contentieux avec leurs employeurs. Du fait de ces litiges, ils ne peuvent bénéficier de leur exit visa, sésame indispensable pour sortir du Qatar. Cette procédure est courante dans plusieurs pays du Golfe et est au cœur du système pervers de la kafala ou sponsorship.

Une image détériorée

Il est urgent pour le Qatar d’entreprendre de sérieuses réformes s’il souhaite préserver une image valorisante sur la scène internationale. Depuis plusieurs années, l’émirat s’est lancé dans une stratégie de marketing d’Etat qui doit le positionner comme un Etat novateur, moderne et tourné vers l’avenir. Néanmoins, les signaux adressés à l’opinion internationale risquent d’être brouillés par la question des ouvriers ainsi que celle des Français bloqués à Doha. Ces deux sujets occupent de plus en plus les médias et certains ne traitent désormais le sujet « Qatar » qu’au prisme de ces controverses. A ne pas y prendre garde, l’image du Qatar pourrait durablement pâtir de ces polémiques, et de pays dynamique et avenant, la perception de l’émirat pourrait notoirement se détériorer. Il est donc essentiel d’apporter les ajustements nécessaires afin de mettre le droit du travail en conformité avec les standards internationaux (ce qui implique une profonde réforme du système de la kafala) et de trouver rapidement un terrain d’entente avec les sportifs français pour solder ces quelques cas litigieux qui jettent le discrédit sur tout un pays. Il semblerait que les autorités aient commencé à prendre la mesure du problème. En visite il y a quelques jours à Doha, Sepp Blatter, le président de la FIFA s’est montré confiant en déclarant que les dirigeants qataris "sont conscients de certains problèmes. Ils sont réactifs et ont déjà commencé à réagir. Les lois sur le travail seront amendées ou sont déjà en cours d’amendement."

De timides mais encourageants signes de changement

Il est vrai que certaines lignes sont entrain de bouger et que les autorités semblent s’activer pour corriger ce qui ne va pas. Il y a d’abord le fait que l’émirat souhaite regarder en face ses propres contradictions. Comme pour lors du rapport de Human rights watch rendu en juin 2012 celui d’Amnesty international a été rendu public et présenté hier à Doha. Dans un entretien au Parisien, Hassan Al-Thawadi, secrétaire général du « Comité suprême d’organisation Qatar 2022 », a eu des propos très durs sur cette question en affirmant avoir « été épouvanté par les images diffusées dans le reportage du Guardian » qui « montrent des conditions de vie et de travail tout à fait inacceptables. ». De même, de timides mais réelles avancées ont été enregistrées ces derniers temps. En décembre 2012, lors de la Conférence internationale de l’ONU sur le climat, une manifestation avait été autorisée avec la participation notable de Sharan Burrow, secrétaire générale de la Conférence syndicale internationale qui milite pourtant activement à un boycott du Mondial 2022 au Qatar. Quelques mois auparavant, c’est la chaîne Al Jazeera qui, malgré son financement par le gouvernement qatari, portait sur ses écrans un reportage à charge sur les conditions des ouvriers. Plus récemment, lors de la polémique née des révélations du Guardian, le groupe n’a pas non plus occulté cette triste réalité. En 2010, les autorités ont également mis en place le camp Barwa Al Baraha qui permet à plus de 50 000 ouvriers de bénéficier de conditions de vie nettement plus avantageuses. Le complexe a coûté plus d’un milliard de dollars et avait été lancé suite à des émeutes d’ouvriers dénonçant leurs conditions de vie dans l’émirat voisin de Dubaï. En avril dernier, c’est le Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique qui organisait, pour la première fois dans le pays, une conférence publique sur la question des travailleurs immigrés.

Enfin, certains relèvent que le dispositif législatif qatari est suffisant pour écarter les abus. D’après eux, c’est le manque cruel d’inspecteurs chargés de vérifier si la loi est bien respectée qui ouvre la voie aux multiples dérives. En ce sens, il faut aussi mettre en évidence l’ensemble de la chaîne des responsabilités. Car en dehors de l’implication de l’Etat qatari, il ne faut pas oublier que nombreuses sont les entreprises du BTP (notamment occidentales) qui « profitent » des zones grises du système. Elles n’hésitent pas à exploiter les mailles du filet pour le plus grand bonheur de leur porte-monnaie. Au Qatar comme ailleurs, le malheur des uns fait – hypocritement - le bonheur des autres.

Crédits photo : AFP

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