Quel est ce mystérieux colloque sur la crise du Golfe auquel ont participé Roland Dumas, Georges Malbrunot et François Asselineau ?

mardi, 10 octobre 2017 10:28

22195578 354016435037340 2560846778460065409 nVendredi 5 octobre, le prestigieux hôtel Meurice à Paris était l’hôte d’un colloque intitulé « Le Qatar et les coulisses des crises du Moyen-Orient ». S’étalant sur toute la journée et disposant d’importants moyens de traduction, l’événement était organisé par une structure totalement inconnue dirigée par un cercle d’activistes d’origine égyptienne.

Depuis la crise ouverte le 5 juin dans la région du Golfe, pas un jour ne passe sans que les puissants lobbies des deux camps ne s’activent pour rallier l’opinion mondiale à leur cause. Cible des efforts des différents protagonistes, l’Occident, et en premier lieu les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, est aujourd’hui le théâtre de l’offensive d’une myriade de boites de conseils et d’entreprises de relations publiques qui tentent d’approcher les élites politico-médiatiques pour leur servir leur vision du conflit. Mais si ce travail de diplomatie parallèle n’est pas l’apanage des pays du Golfe, il prend avec certains acteurs une proportion industrielle et peut, quand il n’est pas mené avec un minimum de prudence, se retourner contre ses propres initiateurs.

C’est exactement ce qui est arrivé il y a quelques jours au Centre des études sur le Moyen-Orient (CEMO). Structure méconnue du circuit des centres de recherche parisiens, l’organisme annonçait depuis quelques jours la mise en place d’un colloque censé décortiquer les ressorts des crises qui déchirent le Moyen-Orient. Mais un simple détour sur l’historique de l’organisation, le parti-pris idéologique des invités et l’ampleur des moyens mis en œuvre démontre que l’opération n’est rien d’autre qu’une énième manoeuvre du lobby égypto-émirati pour entretenir la politique de diabolisation de l’émirat du Qatar auprès de l’opinion française.

Revenons d’abord sur l’identité de ses promoteurs. Abdelrahim Ali et Ahmed Youssef sont deux militants dont l’activisme a été, ces dernières années, porté vers la défense du régime putschiste égyptien. Le premier, qui est un homme de médias relativement connu en Égypte, a été élu député en octobre 2015  lors du simulacre d’élections que le régime du maréchal Sissi a organisé deux ans après le coup d’État. Directeur du site albawabahnews, l’homme est également un nostalgique de l’ère Moubarak et multiplie les articles à charge contre la mouvance des Frères musulmans qu’il affuble, sans autre nuance, du qualificatif de « terroristes ». Quant au second, c’est également un supporteur du pouvoir au Caire même si son activité littéraire (il a écrit quelques livres sur l’histoire de la relation entre la France et l’Égypte) fait de lui un acteur moins controversé que son collaborateur.

Leur longue expérience dans les arcanes de l’univers politico-médiatique entre la France et leur pays d’origine ne les a visiblement pas empêchés d’organiser un événement dont l’agenda inavoué ne dupe personne. En effet, une simple visite sur le site-référence « societe.com » nous montre que le CEMO n’a été inscrit que le 29 septembre avec Abdelrahim Ali comme gérant. Une semaine seulement après son enregistrement et alors que la page Facebook du centre ne comporte que douze « likes »  et le compte Twitter six followers, le centre a donc eu la bonne idée d’organiser un colloque dont la première publicité reprenait un titre  - « Le Qatar : tout sur le crime » - qui ne laissait aucun doute sur son objectif réel. 

En plus de cet amateurisme, la nature des invités démontre combien l’événement a été pensé comme un espace à sens unique. On y trouvait par exemple Elie Hatem, avocat sulfureux proche de l’extrême-droite et connu pour être l’émissaire de la famille Le Pen au Moyen-Orient. Son intervention ne fut pas anodine : sur le dossier du Golfe, l’homme n’en est pas à sa première charge contre le Qatar puisqu'il est déjà intervenu dans un colloque l’an dernier où il soutenait l’idée d’une collusion directe entre l’appareil d’État qatari et le terrorisme international. Il y avait aussi Nicolas Beau, dont l’annonce de la présence a suffi à discréditer l’événement eu égard aux erreurs factuelles manifestes contenues dans son dernier pamphlet contre l’émirat gazier. Signe de sa très haute estime du débat contradictoire, l’homme avait refusé en juin 2013 de voir publié l’entretien croisé mené avec l’auteur de ces lignes tenu dans les locaux du journal L’Humanité… Quant à Eric Champel, auteur d’un nombre impressionnant d’articles à charge contre le Qatar et avide de retirer le Mondial 2022 à Doha, il faisait aussi partie du panel. Le journaliste sportif n’était pas, là encore, à sa première apparition publique dans un espace tout entier destiné à diaboliser le Qatar. En juin dernier, il intervenait avec la même ferveur dans un autre colloque organisé par le Centre international de géopolitique et de prospective analytique dirigé par Mezri Hadad, ancien bras droit de Ben Ali à Paris. Sauf que, comme le rappelait récemment le journal Le Monde, ce centre au titre pompeux est financé par … les Émirats arabes unis ! Preuve s’il en est de la collusion égypto-émirienne dans la réunion (non ouverte au public) de vendredi dernier, la retransmission des allocutions était organisée en direct sur des chaînes émiriennes. CQFD.

Il ne faut donc pas être devin pour conclure que le CEMO n’est rien d’autre qu’une nouvelle officine au service de ceux qui ont décidé d’engager un blocus arbitraire contre Doha. À mesure que la crise du Golfe s’intensifie, ces derniers semblent vouloir passer à la vitesse supérieure dans la stratégie de diabolisation du Qatar à Paris. Ils y mettent d’ailleurs les moyens puisque le CEMO a déjà à son actif un siège situé dans les quartiers chics de la capitale, une revue sponsorisée et annonce même l’ouverture de bureaux en Europe et à New-York. Par contre, si les promoteurs de cette opération sont, in fine, dans leur rôle, la présence de personnalités comme Roland Dumas ou Georges Malbrunot interroge. Si le premier, qui a décidé de ne pas se déplacer pour raisons de santé, a sa vie politique derrière lui, c’est loin d’être le cas pour le célèbre reporter du Figaro. Sa décision de prendre part au colloque questionne en effet étant donné son parti-pris idéologique évident. En cautionnant, par sa présence, une manifestation dont la teneur analytique était inversement proportionnelle à sa dimension militante, le journaliste dilapide en partie son intégrité journalistique qui aurait du le porter à une attitude de plus grande neutralité. Cette dérive semble d’autant plus vraie qu’il a multiplié ces dernières semaines les colloques, invitations et autres interventions médiatiques en martelant la responsabilité directe du Qatar dans le financement du terrorisme. Ce qui est d’ailleurs assez cocasse dans la démonstration de Georges Malbrunot est le fait d’accuser Doha de jouer un jeu trouble dans le financement du terrorisme par le paiement des rançons alors que c’est cette politique qui lui a sauvé la vie. De l’aveu même de l’intéressé, c’est en effet le Qatar qui a payé la rançon au groupe d’insurgés irakiens qui l'avait capturé en août 2004, ce qui a permis sa libération quelques mois plus tard. Enfin, autre preuve de ce mimétisme, l’homme minore souvent la responsabilité bien plus importante de la logique meurtrière des régimes policiers du Caire et d’Abou Dhabi qui, en écrasant les soulèvements populaires dans le monde arabe, n’ont fait qu’ouvrir les vannes aux candidats au jihad revanchard.  Signe des temps : son propos anti-Qatar a tellement été bien accueilli que le site d’Abdelrahim Ali a publié un article de restitution toen le titrant : « Le plus connu des journalistes de France : le Qatar engrange de l’argent du fait des opérations de kidnapping avec les terroristes ». Pas sûr que l’organisateur ait rendu un bon service à son hôte avec un tel éloge.

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