Simulacre d'élections en Égypte : du triomphe de l’autoritarisme à l’entretien du terrorisme ?

vendredi, 30 mars 2018 11:40

2018 03 15t160120z 1571759487 rc15be4ca060 rtrmadp 3 egypt politics 1 0Sans surprise, l’élection présidentielle en Égypte a donné une large victoire au maréchal al-Sissi qui se voit reconduit pour un second mandat. Adoubé par l’Occident, ce simulacre de scrutin ne doit pas faire oublier que le pays s’enfonce dans un avenir des plus incertains.

Il est loin le temps où l’Égypte vivait une période révolutionnaire qui mettait à bas la dictature de Moubarak vieille de trente ans. Il est loin le temps où, en ces journées de janvier/février 2011, le peuple du Caire descendait dans les rues clamer son ras-le-bol de l’autoritarisme et son désir d’écrire une nouvelle page faite d’ouverture démocratique et d’embellie économique.

Armée toute-puissante

La phase de reflux s’est faite par étapes indiquant les unes après les autres la reprise méthodique de la situation par l’armée. Véritable État dans l’État, l’institution militaire a depuis joué un rôle central dans la recomposition de la vie politique nationale avant de décréter la fin de la parenthèse démocratique et le retour à l’autoritarisme dans sa version la plus dure. Par le coup d’État opéré en juillet 2013 destituant Mohamed Morsi, premier président élu démocratiquement dans l’histoire du pays, l’armée s’est réimposée comme la clé de voûte des institutions et a progressivement mis au pas toute forme de contestation, y compris dans sa composante laïque. Résultat des courses : dans l’indifférence générale, les prisons égyptiennes regorgent de dizaines de milliers d’opposants, la plupart jugés de manière expéditive et subissant tortures, humiliations et traitements dégradants.

Ce sinistre tableau est loin de celui défendu par le maréchal al-Sissi qui, une fois arrivé au pouvoir, promettait pourtant à son peuple de sortir de l’impasse avec paix et prospérité à la clé. Quatre ans après son intronisation, le chef d’État est aujourd’hui confronté à un bilan proche du désastre. Sur le plan des droits et libertés, l’Égypte est redevenue cette dictature policière qui enferme toutes celles et ceux qui auraient l’outrecuidance de critiquer, fut-ce de manière très légère, les choix du raïs.

Une élection en trompe-l'oeil

Pour cette élection en trompe l’œil, tous les candidats sérieux ont d’ailleurs été priés de se retirer : de Ahmed Konsouwa à Ahmed Chafik en passant par Mohamed Anouar al-Sadate, neveu de l’ex-président, tous ont été la cible de pressions plus ou moins directes, certains étant même évincés, traqués voire jetés en prison pour avoir caressé l’idée de défier le prince. Pour éviter le scénario improbable où al-Sissi se présenterait seul, les services secrets du régime (les tristement célèbres moukhabarat) ont déniché à la va-vite un opposant de circonstance pour rendre l’opération vendable aux yeux des opinions occidentales. Mais personne n’a été dupe, le malheureux figurant (du nom de Moussa Mostafa Moussa) devant effacer de sa page Facebook un récent statut où il appelait à voter pour … le président al-Sissi !

Sur le plan économique et social, la situation n’est pas plus reluisante. L’Égypte, qui vient de passer la barre des 100 millions d’habitants - dont près d’un tiers ont moins de 30 ans -, fait figure de bombe à retardement avec une économie exsangue qui produit chaque jour davantage de chômage et de misère sociale. L’augmentation des taxes et autres mesures de restriction comme la hausse du prix des denrées alimentaires n’ont fait que monter d’un cran un mécontentement populaire qui pousse une partie de la jeunesse à fuir le pays pour espérer une vie meilleure en Europe ou dans le Golfe. Sans une amélioration rapide des fondamentaux économiques, le pays risque une colère sociale potentiellement déstabilisatrice.

Un pays au bord du gouffre

Quant au dossier de la sécurité, Le Caire a été incapable de mater la rébellion des groupes terroristes dans le Sinaï. Les images de villages ou de quartiers contrôlés ou pris d’assaut par la section Sinaï du groupe État islamique reflète la faillite du pouvoir central alors même que « la lutte contre le terrorisme » constituait l’une des missions majeures du nouveau pouvoir, voire le prétexte vendu aux Occidentaux pour faire passer la pilule du coup d’État. Enfin, sur le plan régional, l’Égypte est largement mise de côté, son rôle historique de puissance pivot du monde arabe n’étant qu’un lointain souvenir.

Dépendant des capitaux du Golfe (en particulier de Riyad et d’Abou Dhabi) qui le maintiennent sous perfusion, le pays n’est plus que l’ombre de lui-même, obligé même de vendre une part de ses terres pour survivre. Le récent épisode de la cession à l’Arabie Saoudite des îles Tiran et Sanafir sur la mer Rouge a en effet été vécu par une partie de l’opinion comme une honteuse transaction bradant la souveraineté nationale sur l’autel de vils intérêts matériels.

On aurait tort de croire que l’avenir de l’Égypte ne concerne que ce pays à cheval entre les mondes africain, asiatique et méditerranéen. Son envergure historique, démographique, culturelle et politique en fait l’un des poumons du monde musulman et le coeur du monde arabe. En ce sens, le pays ne s’appartient plus et le laisser partir à la dérive ne sert ni ses intérêts ni ceux du reste du monde. Sur ce registre, les Occidentaux ont une responsabilité écrasante car en soutenant – aux côtés de Riyad et d’Abou Dhabi - la fuite en avant ultra-répressive du régime, tout cela crée les conditions d’un désespoir profond et d’un désir de revanche inextinguible que viendront tôt ou tard capitaliser des organisations radicales qui n’attendent que l’étincelle pour en découdre. Trahir ses valeurs et principes sur l’autel de juteux contrats d’armes n’est pas que renier sa propre identité ; c’est aussi adopter une politique à courte vue aussi indigne que suicidaire.

 

Une première version de cette tribune a été publiée sur le site de Middle East Eye.

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