Le poète, Al Jazeera, le Qatar et nous

vendredi, 01 mars 2013 01:00

Sans titre 5La condamnation en seconde instance du poète qatari Mohamed Ibn al Dhib al Ajami à 15 ans d’emprisonnement a fait l’objet d’une large couverture. Nombreux sont ceux qui s’interrogent, à juste titre, sur les ambivalences d’un régime qui s’érige en porte-voix des aspirations démocratiques dans le monde arabe tout en bâillonnant, à l’intérieur, les voix discordantes. Plusieurs leçons peuvent être tirées de cet épisode qui écorne l’image du Qatar et en dit beaucoup sur la nature du régime et sur le peu de considération que les pays occidentaux accordent au respect des droits de l’homme dans leurs relations avec les pétromonarchies.

Il est avéré qu’il n’y a pas au Qatar le même degré d’expression démocratique que dans d’autres pays du monde. Il y a un certain nombre de tabous révélateurs d’une forme de conservatisme de la société et l’intégrité de la famille royale en fait partie. C'est un sujet auquel il ne faut pas s’attaquer. Cela dit, ces limites ne peuvent être le prétexte à des condamnations abusives. En ce sens, le verdict sur l’affaire du poète est plus qu’une erreur, c’est une faute politique.

 

Souvent décrié pour son rôle grandissant dans les phases de transition que connaissent les pays de la région suite au bouleversement politique consécutif au « Printemps arabe »,  l’émirat affiche une nouvelle fois une forme de contradiction qui suscite beaucoup de réactions. De nombreux efforts restent à fournir afin de se rapprocher des standards internationaux, notamment en matière de respect des libertés fondamentales. Même dans le domaine de la liberté de la presse, le pays d’Al Jazeera est encore loin de faire figure de bon élève. Dans le dernier classement de Reporter sans frontières, le Qatar arrive en 110e position. Même s’il gagne 4 places par rapport au classement précédent, il arrive au 4e rang du monde arabe loin derrière les Comores, le Koweït et le Liban.

Ceci dit, la couverture par les médias qataris du verdict met en évidence le différentiel de marge de manœuvre des différentes entités structurant le champ médiatique du pays. Si les quotidiens n’en ont pas fait état, Al Jazeera English a couvert le jugement et a même donné la parole à un activiste des droits de l’homme qui n’a pas hésité a questionner le sens de cette condamnation au moment où le Qatar aspire à accompagner le vent de libertés qui souffle sur la région. Quant à la version arabe, elle avait couvert la condamnation en première instance sous une forme tout à fait particulière. Lors du programme « Mountassaf al yawm » du 30 novembre 2012 (l’équivalent du journal de 13h), c’est le représentant syrien à l’ONU qui apparaissait sur les écrans de la chaîne pour commenter l’affaire avec un discours, on l’imagine, diabolisant le régime de Doha. Cette volonté de donner la parole à toutes les parties, y compris aux détracteurs de la chaîne, est une particularité de la ligne éditoriale d’Al Jazeera. Faisant écho à son slogan « L’opinion et son contraire », les représentants du régime syrien, comme Sherif Shehata véritable porte-voix du régime de Damas, ont souvent l’occasion de s’y exprimer ce qui débouche régulièrement sur des altercations à forte intensité.

Au-delà des insuffisances qataries, ce que révèle en dernier ressort cette affaire est l’effacement de la boussole des droits de l’homme dans l’orientation des options diplomatiques des pays occidentaux. Les communiqués officiels dénonçant le verdict sont suffisamment timides pour sauvegarder les intérêts économiques bien compris avec de richissimes Etats devenus incontournables. Surtout dans le contexte d’une crise économique qui frappe de plein fouet le Vieux continent.

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