Par ailleurs, les premières manifestations de la crise ont immédiatement poussé les Qataris à se ruer dans les supermarchés. L’insécurité alimentaire est une problématique floue. Certaines sources expliquent que le petit pays n’aurait que dix-sept jours d’autosuffisance alimentaire, d’autres que la richesse du pays permettrait de résister au blocus sur le long-terme. Une chose est sûre, l’Iran et le Qatar sont aussi liés par le commerce de produits agricoles, et les premières initiatives iraniennes auront consisté en des aides pour pallier à la fermeture des frontières maritimes, aériennes et terrestres imposée par l’Arabie saoudite, mais aussi et surtout en des approvisionnements permanents en produits alimentaires.
Mais les relations ne semblent pas concerner exclusivement les entités étatiques. Suite au blocus, le président iranien Hassan Rohani avait bien mis l’accent sur une volonté de renforcer les liens entre entités privées et secteurs privés, et la presse iranienne fait encore une lecture agricole et alimentaire des termes « secteurs privés » (et éventuellement textile, d’après des contacts au ministère du commerce en Iran).
Les pays du blocus accusent le Qatar d'être un État ayant des relations fortes avec Téhéran. Pourtant, il semblerait que ce soit les Émirats arabes unis (notamment via Dubaï) qui entretiennent le plus de relations économiques avec le puissant voisin iranien. Depuis quand date cette relation ? À quel montant est-elle évaluée ?
Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’en terme de relations diplomatiques, le Qatar n’est pas forcément le pays le plus proche de l’Iran dans la région. Le sultanat d’Oman et le Koweït entretiennent des rapports plus cordiaux encore avec la République islamique. Les Émirats arabes unis sont diplomatiquement agressifs à l’égard de l’Iran ce qui ne les empêche effectivement pas d’avoir de fortes relations économiques avec le voisin perse. Les Émirats ont su profiter de l’embargo et des sanctions contre la République islamique pour développer leurs relations commerciales, notamment par la création de zones franches dans lesquelles les marchandises pouvaient être entreposées puis réexportées. Ces manœuvres commerciales pouvaient rapporter plusieurs centaines de milliards de dollars annuellement aux Émiratis. On estime, en Iran, que les Émirats représentent près de la moitié du commerce extérieur et Dubaï constitue une plateforme d’implantation de sociétés irano-émiraties.
Dubaï constitue aussi une plateforme bancaire. On sait que l’accès au système bancaire international par l’Iran est largement compromis par les sanctions, et même si leur levée est bien prévue par les accords de Vienne, les États-Unis continuent de recourir à des mesures coercitives pour empêcher cet accès à l’Iran. Même à Dubaï d’ailleurs, Washington a exercé des pressions sur les banques américaines ayant des filiales là-bas, et dans l’esprit des Iraniens, il ne fait aucun doute qu’ils sont plus la cible de ces pressions que la ville émiratie elle-même. D’ailleurs nombre de ces banques ont dû cesser d’ouvrir des comptes aux ressortissants iraniens (on pense à Crédit Suisse ou à UBS).
Dubaï répond aux besoins d’exportation de l’Iran mais aussi sait profiter d’une manne touristique iranienne produite par les interdits inhérents aux fondements de la République islamique. La population iranienne aisée et désireuse de divertissements (infrastructures touristiques, discothèques, consommation du luxe) fait aussi fonctionner l’économie dubaïote (plus de 500 vols mensuels garantissent des liens directs entre Dubaï et les grands aéroports iraniens). Point d’orgue du paradoxe des relations irano-qataries, le marché immobilier dubaïote largement ouvert à l’Iran est fragilisé par les tensions politiques (mais aussi géostratégiques, il ne faut pas oublier les rivalités en matière de souveraineté autour des îles du détroit d’Ormuz) et les propriétaires iraniens vivent avec le risque permanent de se voir retirer leur carte de séjour.
Est-ce que les fondamentaux macroéconomiques de l'Iran lui permettent d'envisager sereinement son futur proche à l'heure où le prix du pétrole reste bas ? De même, est-ce que l'Iran a beaucoup profité selon vous du blocus contre le Qatar ?
La macroéconomie a été la principale cible du premier mandat de Hassan Rohani. C’est d’ailleurs pour ces raisons que les rivaux conservateurs iraniens ont sauté sur l’absence de retombées économiques dans le quotidien de la population pour dénigrer le travail de Rohani. Le deuxième mandat doit être celui de la sortie de la suffocation économique pour la population. Malheureusement, les mesures coercitives encore prises par les États-Unis en matière d’accès au système bancaire international freinent les investissements et les solutions de sortie de crise économique. Par ailleurs, le Qatar ne constitue qu’un marché de moins de 2 millions d’habitants. Le terme « d’enrichissement » ou de « profit » fait sourire les analystes iraniens. Ce qui compte effectivement, c’est le fait de conserver de bonnes relations pour une continuité des rapports énergétiques dont nous avons déjà parlé. D’un point de vue politique, le « profit » est beaucoup plus perceptible. Les rapprochements avec le Qatar constituent un élément à la faveur de l’Iran dans le conflit froid qui l’oppose à l’Arabie Saoudite mais le poids économique est bien relatif. L’intelligence stratégico-financière du Qatar se veut être un point commun avec l’Iran (volonté d’autonomisation politique par rapport aux grandes puissances), du point de vue de nombre d’analystes iraniens.