C’est un micro-trottoir réalisé au marché d’Epinal par la Société d’émulation des Vosges. Diffusé lors de la conférence du chercheur Nabil Ennasri à la faculté de droit à l’occasion de la sortie de son essai « L’énigme du Qatar » le 13 juin 2013, ce petit documentaire de très bonne facture donne un aperçu de ce que suscite le Qatar dans l’imaginaire de la société française.
De nombreux habitants se sont prêtés au jeu et ont répondu aux questions. Plusieurs observations peuvent en être tirées :
- La vidéo montre de façon parfois amusante combien le Qatar est devenu une machine à fantasmes. Cela transparaît dès les réponses à la première interrogation. A la question, « Si je vous dis Qatar, vous pensez à quoi ? », la plupart des interviewés répondent « argent », « fric », « opulence ». De cette idée d’un Etat richissime naît le sentiment communément partagé d’un émirat prêt à « tout racheter ». Les couvertures de presse donnant à voir un Etat aux ambitions dévorantes ne sont certainement pas étrangères à cette perception qui ne reflète pourtant pas la réalité. Nous sommes ici au cœur du malentendu qui a dominé le traitement médiatique de l’objet « Qatar » en France. Toute une littérature a dépeint l’émirat comme une nouvelle puissance prête à « soumettre la France » par la force de ses pétrodollars. Si effectivement les investissements qataris se sontportés vers des acquisitions à forte rentabilité symbolique (le PSG, le magasin Printemps, certains hôtels de luxe parisiens ou de la Côte d’Azur), le montant réel des actifs du Qatar en France reste relativement modeste. D’abord, parce que beaucoup d’Etats européens ainsi que certains pays arabes comme les Emirats arabes unis ou l’Arabie saoudite possèdent des avoirs en France supérieurs à ceux du Qatar. Mais aussi par le fait que la France ne se situe qu’au quatrième rang des pays européens qui bénéficient des placements du fonds souverain qatari. Le Qatar Investment Authority a en effet davantage investi en Suisse, Allemagne et Grande-Bretagne que dans l’Hexagone. Et c’est pourtant en France que l’émirat a suscité le plus de crispations, le traitement journalistique dans les autres pays se situant entre bienveillance, indifférence ou polémique de faible ampleur.
- Il en ressort que la France est un cas particulier dans l’espace européen. Cette place singulière n’est pas étrangère au fait que notre pays n’a pas encore digéré le contentieux colonial et que le malaise à l’égard de l’immigration et de l’islam reste perceptible. En ce sens, on peut faire l’hypothèse que la crainte que suscite l’islam auprès de l’opinion se focalise en partie sur le Qatar qui cristallise trois passions qui taraudent la société française : la peur de l’islam, la sensation du déclassement du fait de la mondialisation et le rapport difficile avec l’argent.
- Cette vidéo démontre aussi combien le déficit de connaissance sur le Qatar est important. De la difficulté à situer géographiquement le pays au nombre d’habitants en passant par les réponses hésitantes, peu de personnes ont pu répondre juste aux diverses interpellations. Il en ressort la nécessité de faire œuvre de pédagogie auprès de l’opinion afin de faire connaître davantage une nation qui est passée de l’ombre à la lumière en un temps record.
- Enfin, il est intéressant de noter que nombreux sont les habitants à avoir fait mention du club du Paris Saint-Germain dans leur réponse. Le Qatar a en effet véritablement émergé dans l’opinion avec l’acquisition de ce club au printemps 2011. Depuis, cet investissement constitue le support de connaissance majeur du Qatar dans la société. Les récents succès enregistrés par la formation parisienne, son ascension comme l'une des principales écuries du circuit européen et l’arrivée de stars mondialement connues (Zlatan Ibrahimovic, Edison Cavani, David Beckham etc) ont propulsé à la fois la ville de Paris mais également le propriétaire du club. C’est d’ailleurs dans cette logique que les autorités du Qatar veulent faire du PSG un support de promotion afin de placer leur pays comme destination touristique de premier plan. Le pari est ambitieux mais s’il est réussi, il pourrait largement contribuer à décrisper le regard d’une partie de la population sur un émirat devenu ces deux dernières années le pays étranger suscitant le plus de commentaires dans les médias.