Depuis 2011, un gouvernement majoritairement composé d'éléments non soumis à l'armée a succédé à la junte militaire qui fut aux commandes du pays pendant près de 50 ans. Ces élections sont donc le signe d'un nouveau départ pour une société qui se remet doucement d'un régime implacable. Mais même si les progrès sont flagrants, la transition démocratique est loin d’être complète. En effet, les autorités birmanes semblent éluder la question de la minorité musulmane, les Rohingyas, qui sont totalement exclus de la vie politique nationale. Peuplée de 52 millions d’habitants composée de plusieurs ethnies, le pays est très majoritairement bouddhiste (89 %). Les Rohingyas, minorité musulmane, arrivée au XIe siècle et vivant dans l’Etat de l'Arakan représentent 4% de la population totale.
Les Rohingyas : une des minorités les plus persécutées du monde selon l’ONU
Rattachée à la Birmanie depuis 1948, cette population est aujourd'hui considérée par l'ONU comme l' « une des minorités les plus persécutées du monde ». Actuellement composée de 800.000 personnes, elle est privée de ses droits civils et subit une véritable ségrégation. Considérés comme des étrangers ou des « immigrés illégaux bangladais » voire de « chiens » ou de « sous-hommes », ils ne bénéficient pas de la nationalité du pays et sont apatrides. Alors, qu'en 1948, les Rohingyas étaient reconnus officiellement en tant que minorité, l'arrivée en 1962 au pouvoir du dictateur Ne Win change la donne. Une campagne haineuse est alors lancée qui prive progressivement cette minorité de ses droits les plus élémentaires. Les déplacements forcés et le persécutions deviennent monnaie courante. Ils vivent un premier exode en 1978 où 200.000 d'entre eux se réfugient au Bangladesh. Le deuxième exode se situe en 1991-1992 où 260.000 personnes quittent le pays pour éviter leur enrôlement dans des travaux forcés.
Plus tard en 1982, une loi est promulguée par la junte militaire qui les déchoit de leur citoyenneté, ce qui les transforme officiellement en apatrides et étrangers dans leur propre nation. Cette exclusion des musulmans de la vie politique s’explique par une pression constante exercée par des groupes extrémistes bouddhistes, incarnée par le moine Ashin Wirathu. Ce dernier assure vouloir « protéger l’identité bouddhiste » de la présence musulmane qui ne représente pourtant que 4% de la population totale. Ouvertement raciste, il reste néanmoins très populaire dans le pays malgré les nombreuses atteintes aux droits perpétrés par son mouvement 969 (chiffres représentant les 3 joyaux de Bouddha). Il ne se cache d'ailleurs pas de relayer un tel discours sectaire. Au début des années 2000, il haranguait ses partisans avec des déclarations du style: « Commercez seulement avec ceux de votre espèce : ceux de même race et de même foi » (…), « ne laissez pas votre argent aller à l’ennemi ». Dans une allusion directe aux Rohingyas, il affirmait également : « Ils vont détruire notre religion », « ils vont prendre notre terre », « leur race et leur religion progressent ». Face à un tel déchaînement de violences verbales et physiques, le célèbre magazine américain Time le présentait dans sa Une du 20 juin 2013 comme étant le « Hitler de Birmanie ». C’est dans un contexte de montée de la xénophobie que la commission électorale a écarté tous les candidats musulmans rohingyas car pour pouvoir se présenter aux élections, il faut être de nationalité birmane et avoir ses deux parents birmans au moment de la naissance.
De son côté, l'ONG Human Rights Watch (HRW) a accusé le gouvernement du président Thein Sein, élu en 2011, ainsi que les autorités locales et les forces de sécurité d’être impliquées dans des attaques ciblées. Elle a énuméré des violations flagrantes des droits de l’homme parmi lesquelles la stérilisation forcée, le refus de soins, la destruction de villages, l'installation dans des camps de rétention, l'esclavage, les viols et tortures sexuelles commis par des militaires etc.
Depuis 2012, les exactions ont repris avec encore plus de violence. Plusieurs ONG accusent les autorités birmanes ainsi que des groupes bouddhistes de commettre des crimes contre l’humanité dans le cadre d'une campagne de nettoyage ethnique. En mai 2013, les Rohingyas se sont vu rappeler une mesure qui avait été mise en place sous l’ancienne junte militaire qui est « l’interdiction d’avoir plus de deux enfants ». Cet ordre remonte à 1994 mais n’avait jamais été appliqué. En cas de naissance d’un troisième enfant, celui-ci n’est pas enregistré et donc sans existence légale. Aujourd’hui, chassés de leur maison, des centaines de milliers de Rohingyas vivent dans des camps, les autres sont bloqués dans leurs villages contrôlés par des policiers. Plus de 140.000 personnes ont été transférées dans des camps construits autour de Sittwe, la capitale de l'Arakan.
Aung San Suu Kyi : silence de la lauréate du prix Nobel de la paix
La chef de l’opposition Aung San Suu Kyi, régulièrement critiquée pour son silence sur la persécution des Rohingyas, a appelé jeudi dernier à « ne pas exagérer » le drame alors qu'un rapport de l'université américaine Yale parle de « génocide». « Le pays tout entier est dans un état dramatique, pas seulement l'Etat Rakhine », a-t-elle lancé.
Prix Nobel de la paix en 1991, assignée à résidence pendant 15 ans par la junte militaire, Aung San Suu Kyi âgée de 70 ans, a réaffirmé qu’elle dirigerait le prochain gouvernement si son parti, la Ligue nationale de la démocratie (LND), remporte les élections législatives de dimanche. Ce scrutin, dont son parti est le grand favori, doit parachever la transition initié en 2011 par les ex-dirigeants militaires.
La toile s’était mobilisée pour dénoncer la situation tragique des Rohingyas
En avril 2014, l’émission « Pekin express » fut lancée par la chaîne M6. Pour sa 10e édition, les aventuriers sont partis à la découverte des « pays parmi les moins visités au monde », en tête desquels se trouvait la Birmanie. Le choix de ce pays a vite dérangé certains téléspectateurs. Nombreux en effet furent ceux qui se sont insurgés contre ce choix qui occultait le drame vécu par une population martyre. Suite à cette émission, une importante mobilisation a été lancée sur les réseaux sociaux. Celle-ci a permis de faire connaître au public francophone la situation tragique dans laquelle vivaient les Rohingyas. Du fait de cette action, plusieurs sponsors ont décidé de ne plus être partenaires de l’émission qui a fini par être interrompue. Dans la foulée, des reportages ont été commandés afin de faire connaître à l'opinion le sort tragique de cette population méprisée et abandonnée.
Al Jazeera dispose d’éléments qui accusent le gouvernement birman de génocide
Le 26 octobre dernier, la chaîne qatarie Al Jazeera a diffusé une minutieuse enquête d’investigation intitulée « Un génocide prémédité ». Le reportage présente des éléments factuels et des témoignages de responsables humanitaires qui accusent les autorités birmanes de « génocide » dirigé contre les Rohingyas. Des documents secrets ainsi que des rapports médicaux viennent clairement confortés la thèse selon laquelle les moines bouddhistes, l’armée ainsi que le gouvernement sont actuellement impliqués dans une entreprise d’extermination d'un peuple. Le reportage de 48 minutes montre également que le gouvernement engage des « voyous » pour attiser les tensions communautaires, organiser des agressions, pillages et viols collectifs.
Si les organisations de défense des droits de l’homme font état régulièrement de ces horreurs, la couverture médiatique reste plutôt faible. L'objectif d'Al Jazeera dont le reportage a été diffusé dans ses canaux anglais et arabe est de sortir cette tragédie du silence dans lequel certains voudraient la voir confiner. Pour offrir une tribune à cette minorité, la chaîne a également décidé de consacrer des éditions spéciales sur la situation et le sort des Rohingyas du 8 au 14 novembre.
Le Qatar ainsi que d’autres pays du Golfe font des dons pour venir en aide aux Rohingyas
En mai dernier, les images de bateaux de réfugiés Rohingyas refoulés des côtes de la Malaisie, de la Thaïlande ou de l'Indonésie avaient également suscité une grande vague d'émotions. Beaucoup ne comprenaient pas comment des Etats musulmans et limitrophes de la Birmanie pouvaient adopter une telle attitude face à des réfugiés qui avaient tout perdu et qui en plus, erraient depuis des semaines en mer. Le Qatar avait promis une aide de 50 millions de dollars à l'Indonésie pour que ce pays puisse faire face à l'afflux de réfugiés Rohingyas en provenance de Birmanie.
Ce n'est pas la première fois que le Qatar et d'autres pays du Golfe viennent en aide aux réfugiés Rohingyas. En septembre 2012, le cheikh koweïtien Nabil Al 'Awadi, un des prédicateurs les plus populaires du Golfe, s'était rendu dans les camps de réfugiés Rohingyas au Bangladesh. Il apportait des vivres et des médicaments affrétés par la Qatar Charity, l'une des plus importantes ONG de l'émirat, ainsi que par d'autres organisations caritatives du Koweït. Son voyage avait aussi pour but de médiatiser la cause de ces réfugiés délaissés par la communauté internationale.