Le Qatar et la Turquie, fers de lance du soutien à la cause palestinienne
Le Qatar a immédiatement condamné cette journée sanglante dans un communiqué repris par l’agence de presse officielle Qatar News Agency (QNA) : « L'État du Qatar déplore et condamne le massacre brutal et les assassinats systématiques perpétrés par les forces d'occupation israéliennes contre des Palestiniens sans défense lors de leur protestation pacifique et légitime contre la décision des États-Unis. Cette décision unilatérale est contraire à toutes les résolutions des Nations Unies relatives au transfert de leur ambassade à Jérusalem. »
La porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères Lolwah al-Khater a également déclaré sur son compte Twitter que « la région ne tolèrera pas davantage de tensions et d’écoulement de sang, la communauté internationale doit rester ferme pour stopper les violations israéliennes et répondre sans délai aux demandes du peuple palestinien ».
Même son de cloche du côté turc où le président Recep Tayeb Erdogan a réagi lundi en qualifiant Israël « d’État terroriste », coupable de « génocide ». En outre, il a décrété trois jours de deuil national, annoncé un rassemblement de protestation vendredi 18 mai et a rappelé pour consultation ses ambassadeurs à Tel-Aviv et Washington. Dans le même élan, Ankara a exigé de l’ambassadeur israélien de quitter temporairement son territoire.
Doha, premier investisseur à Gaza
Depuis l’opération "Bordure protectrice" engagée par l’armée israélienne à l’été 2014, le Qatar est le pays arabe qui a consenti au plus grand effort en matière d’aide financière. Cette contribution à la reconstruction qui se chiffre en centaines de millions de dollars d’après la Banque mondiale est indispensable pour éviter à Gaza un effondrement de ses infrastructures civiles et de son équilibre sociétal.
Cette aide porte sur des secteurs aussi divers que la construction de logements neufs, la réhabilitation de l’université ou la création d’unités médicales traitant de cas spécifiques comme les maladies rares ou les handicapés. De plus, Doha s’est solidarisé avec les factions de la résistance palestinienne en rappelant le droit inaliénable du peuple palestinien à recouvrir ses droits par la résistance.
En plus de l’émirat qui avait promis un milliard d’aide pour la reconstruction de Gaza lors de la conférence du Caire de novembre 2014 - de loin, la plus grande contribution des pays donateurs -, les deux autres pays de la région qui s’impliquent pour soulager le calvaire du territoire enclavé sont la Turquie et l’Iran. Si Ankara a toujours eu de bonnes relations avec le pouvoir en place à Gaza, la recomposition des alliances régionales, suite à la guerre civile qui a déchiré la Syrie, a momentanément réduit la relation entre Téhéran et le Hamas. Celle-ci a repris des couleurs devant le rapport de forces qui fait de Damas un protectorat irano-russe, ce qui a contribué à reléguer au second rang la solidarité du Hamas avec l'aspiration au changement de régime d'une grande partie du peuple syrien.
Les pays du Quartet et l'avènement des "sionistes arabes".
Contrairement au Qatar ou à la Turquie, la position des pays du Quartet ayant décidé le blocus de l’émirat gazier (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Bahreïn et Egypte), ont fait part d’une position plutôt tiède sur le massacre de lundi.
Cette froideur reflète l’effacement de la question palestinienne des priorités des quatre capitales. Pour l’Arabie Saoudite et ses alliés, la menace principale n’est désormais plus Israël mais l’Iran. La montée en puissance de la République islamique au Moyen-Orient nécessite, pour ces Etats, de se rapprocher discrètement – et parfois même ouvertement - de l’Etat hébreu qui partage la même aversion pour Téhéran.
Signe de ce rapprochement, le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman a déclaré lors d’un entretien accordé en mars dernier au magazine américain The Atlantic que « les Palestiniens et les Israéliens ont le droit de vivre sur leurs propres terres ». De plus, il reconnaît à « Israël le droit d’occuper son territoire » ce qui a provoqué une levée de boucliers sur les réseaux sociaux, le roi Salman se devant même de corriger son fils par un communiqué du palais rappelant la solidarité de Riyad avec le peuple palestinien. Car pour nombre d’observateurs, ce rapprochement représente un coût politique très élevé, dans la mesure où il est en train de briser un tabou et met à mal la réputation du royaume wahhabite auprès de l’opinion publique arabe, au point que de nombreux musulmans appellent à boycotter le Hadj qui aura lieu cet été.
De son côté, le ministre bahreïni des Affaires étrangères, le prince Khaled ben Ahmed al-Khalifa, a déclaré sur son compte Twitter qu’Israël avait « le droit de se défendre » contre l’Iran suite aux récents échanges de feu qui ont eu lieu entre les deux pays en territoire syrien. Jamais un haut responsable d’un pays arabe n’avait encore aussi ouvertement pris position en faveur de l’Etat hébreu. Surtout qu'elle ne reflète pas que la position de Manama puisqu'il est certain que cette sortie inédite n'a pas pu se faire sans l'assentiment de Riyad.
Confirmant cette lecture des évènements dans le lourd climat qui oppose les principautés du Golfe depuis près d'un an, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu ne peut que se réjouir de ce contexte favorable qui pousse à la normalisation. En juin 2017, ce dernier n'avait-il pas déclaré que « le boycott du Qatar, initié par l'Arabie Saoudite, représente un changement important dans la région, car Israël est devenu un partenaire et plus un ennemi. » ?
Les Emirats arabes unis et la convergence d’intérêts stratégiques avec Tel Aviv
Selon le quotidien israélien Haaretz, Benjamin Netanyahu a également rencontré en mars dernier l’ambassadeur des Emirats arabes unis à Washington, Yousef al-Otayba. Homme d’affaires nébuleux et empêtré dans divers scandales en lien avec la famille Trump ou les lobbyistes à Washington, l’homme est reconnu comme l’un des émissaires étrangers les plus influents de la capitale fédérale. Mettant à profit son activisme auprès des élites politiques et médiatiques, il a largement contribué à la diabolisation du Qatar et de la Turquie aux Etats-Unis. Cette rencontre s’est déroulée lors de la dernière visite de Netanyahu Outre-Atlantique.
Fin 2015, Israël a ouvert sa première mission diplomatique aux Emirats arabes unis. À l’exception de la Jordanie et de l’Egypte et bien qu’il y ait eu, par le passé, des bureaux de liaison israéliens au Qatar, à Oman, au Maroc et en Tunisie, c’est la première fois qu’Israël s'implante de manière aussi évidente dans la région du Golfe.
Sur ce dernier point, les Emirats arabes unis qui depuis longtemps commercent secrètement avec Israël, ont aussi soutenu les tentatives d’éradication du mouvement Hamas en concourant à l'assassinat de ses leaders (comme à Dubaï s'agissant d'al-Mabhouh en 2010) ou en espérant une victoire décisive de l’armée israélienne à Gaza à l’été 2014. L’alignement pro-israélien des élites émiriennes leur ont valu le surnom de « sionistes arabes » de la part d’une partie de l’opinion arabe. Cette posture est soulignée par divers chercheurs. Citant l’universitaire James M. Dorsay qui travaille à l’université de Nayang à Singapour, le journaliste algérien Akram Belkaïd rappelait l’an dernier qu’« il y a une convergence d’intérêts stratégiques entre Israël, l’Égypte et les Émirats arabes unis ». C'est cette diagonale d'un genre nouveau, motivée par la haine de toute forme d'islam politique, d'un désir d'assumer un pouvoir policier et d'une obsession de contrer "l'expansionnisme iranien", qui séduit le nouveau prince héritier saoudien jusqu'à vouloir l'imposer par la force sur toute la péninsule arabique.
Cette convergence semble aujourd’hui sur le point d’être annoncée publiquement. En témoigne, la toute récente déclaration du ministre israélien des Télécommunications qui a affirmé avoir reçu une invitation officielle des dirigeants émiriens à se rendre dans leur pays. Et ce, alors même que Gaza comptait ses morts par dizaines.