Apparemment pas inquiété par ces appels de milliards à répétition, l’Emirat du Golfe va lui apporter une partie des capitaux nécessaires. Cette fois, ce n’est pas le fonds souverain mais la famille royale qui souscrit à l’opération à travers la société Paramount Services Holdings. Ce fonds, contrôlé par le Sheikh Hamad Bin Jassim Bin Jabor Al- Thani, va acquérir pour 1,75 milliard d’euros une tranche de 60 millions d’actions à un prix 5 % inférieur au cours de bourse de vendredi soir. « Un cadeau de bienvenue, qui permet d'assurer le placement d'une opération majeure », commente un analyste. A lui seul, Paramount Services va assurer plus de 20 % des besoins d’argent frais de Deutsche Bank, qui entend ainsi passer haut la main la prochaine série de stress tests européens. Et financer son développement dans les activités de banque d’investissement, notamment.
Avec ce nouveau ticket de poids, le Qatar étoffe encore son portefeuille bancaire. Comme les autres pays du Golfe, l’Emirat est très actif dans ce secteur depuis la crise financière. Entre 2007 et 2008, il a participé aux cotés des fonds souverains de Dubaï, Abu Dhabi et du Koweit à la consolidation, voire au sauvetage des plus grandes banques américaines et européennes parmi lesquelles Barclays, Credit Suisse, Citigroup, Merrill Lynch et HSBC. Une intervention salutaire à un moment critique pour les pays développés. Dans certains cas, ces nouveaux investisseurs sont devenus des actionnaires de référence, notamment chez Barclays détenu à hauteur d’environ 13 % par la famille et le fonds souverain qatari. Si certaines des participations des pays du Golfe ont été depuis partiellement revendues, l’Emirat est toujours actionnaire de la banque britannique. Il détient par ailleurs 6 % de Credit Suisse ainsi que des participations chez Bank of America et Agricultural Bank Of China.
« Le Qatar est aussi présent dans la finance en Italie et en Grèce où il a participé à la création de la première banque du pays AlphaEurobank ; c’est un secteur comme un autre pour la diversification des avoirs du pays, commente Ennasri Nabil, spécialiste du pays et auteur de "L’Enigme du Qatar". La stratégie politique, économique et diplomatique de l'Emirat a été édictée dans un document, Qatar National Vision 2030, avec l’objectif de ramener à cette échéance la contribution des hydrocarbures à la richesse nationale en dessous de 50 %. Le pays veut y parvenir par quatre moyens, l’industrie du sport, le tourisme, l’économie de la connaissance et le produit des placements à l’étranger », explique-t-il.
La finance est peut-être un secteur comme un autre, dont la valorisation devrait s’améliorer dès lors que les banques auront passé l’épreuve des stress tests et tourné la page de tous les contentieux (manipulation des taux de change, des taux d’intérêt).
Mais « devenir actionnaire de référence de Deutsche Bank, avec plus de 5 % de son capital, n’est pas anodin. C’est aussi un moyen de faire partie de l’establishment de la première puissance de la zone euro. La principale banque du pays vous ouvre forcément les portes du monde politique, à droite comme à gauche », commente un spécialiste du secteur. C’est aussi, et peutêtre surtout, ce que recherche le Qatar qui n'aurait pas réclamé de siège au conseil d’administration de Deustche Bank - c'est souvent le cas - mais qui entend tirer profit du « soft power » que lui procure sa fortune. « A chaque opération financière d’importance, on pense spontanément à solliciter les fortunes du Golfe car se sont des investisseurs exigeants, mais stables et aux poches profondes ; notamment le Qatar qui a plusieurs dizaines de milliards de dollars de surplus financiers à investir chaque année, confirme l'opérateur de marché. Or les banques européennes ont encore pas mal de besoins en capitaux, et investir ce secteur est un moyen efficace de s'intégrer dans un pays ».
Article paru dans "L'opinion" mardi 20 mai 2014. Par Muriel Motte, journaliste.