Caroline Fourest, Marine Le Pen et le Qatar : mêmes méthodes, même combat ?

mercredi, 04 décembre 2013 17:08

Marine-Le-Pen-Caroline-Fourest pics 390Aussi bizarre que cela puisse paraître, Caroline Fourest partage plusieurs points communs avec Marine Le Pen. Retour sur une connivence qui laisse perplexe et qui a fait de la "rumeur" sur le Qatar le dénominateur commun entre la polémiste et la leader frontiste.

C’est un fait qui se vérifie de plus en plus. Caroline Fourest nous a habitués à agrémenter ses articles d’inepties et d’approximations. Dans la panoplie de ses méthodes douteuses destinées à délégitimer ses adversaires, elle a régulièrement fait fi de la déontologie journalistique[1]. Non contente de s’éloigner d’un journalisme propre et rigoureux, on la voit désormais utiliser un autre procédé encore plus scabreux : l’usage de la rumeur.


Le mode opératoire est simple et ravageur : distiller une information non fondée, compter sur le bouche-à-oreille pour la répandre et laisser la recette "calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose" agir et conquérir les esprits. Vieille comme le monde, cette formule marche quasiment à tous les coups.

A l’heure de l’internet, des autoroutes de l’information et de la viralité des réseaux sociaux, sa capacité de propagation est exceptionnelle. L’arme est redoutable car une fois que la rumeur est lancée, il est souvent impossible de l’éteindre ou de revenir dessus. Restera alors cette impression que finalement, si cette rumeur existe c’est qu’elle a un bien-fondé quelque part car il n’y a pas de fumée sans feu. Procédure habile donc et qui peut, à moindre frais, défaire des carrières et salir des réputations.

On croyait cette stratégie appartenir aux us et coutumes de l’extrême-droite mais malheureusement elle semble avoir fait des émules sous d’autres cieux. Dans le milieu journalistique et universitaire, la rumeur est typiquement l’écueil à éviter et l’erreur fatale à ne jamais commettre sous peine d’une déconsidération irréparable. Le recueil solide d’informations et la vérification scrupuleuse des faits sont les meilleurs boucliers pour éviter la désinformation et l’opprobre de la profession. Pourtant, il se trouve des personnalités qui en font usage et qui paradoxalement ne se voient jamais réprimandées[2]. Caroline Fourest en fait partie.

Le mois dernier, la polémiste n’a pas hésité à faire usage de mensonges lors de sa chronique sur France culture en affirmant que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) était « financé par le Qatar »[3]. Cette affirmation calomnieuse ne repose sur aucun fait et jusqu’à aujourd’hui, celle qui s’est vue décernée un Y’a bon Awards en 2012 n’a pas encore apporté la moindre preuve de son accusation. Adepte de la récidive, Caroline Fourest a reproduit la même technique lors d’une intervention organisée par le Parti socialiste quelques jours plus tard. Le 5 octobre, son propos tenu lors de la table ronde « La bataille culturelle pour une République fraternelle » s’est conclu sur des paroles dramatisantes sur l’état des lieux de l’antiracisme qui imposerait une impérieuse solidarité avec les associations qui – naturellement – bénéficient de l’onction de la chroniqueuse. Extraits : « La guerre qui se passe en ce moment au sein de l’antiracisme, elle est d’un côté entre des associations universalistes qui défendent effectivement ce principe d’égalité tout en refusant l’intégrisme et le communautarisme, et je pense à des associations évidemment comme SOS Racisme qui, au passage, ne se portent pas hyper bien financièrement et qui si elles venaient à disparaître, nous aurions perdu la guerre culturelle, face à des associations qui ont beaucoup d’argent. » Quelles sont ces associations ? Réponse de l’intéressée : « Je pense à ces associations qui se spécialisent dans la lutte contre l’islamophobie et (…) qui ont beaucoup d’argent. Ils ont l’argent de mécènes américains qui pensent que la laïcité française est sectaire, ils ont l’argent du Qatar »[4]. Le même refrain est donc répété à quelques jours d’intervalle. Lancer des accusations, jeter l’opprobre d’un financement étranger, jouer de l’insinuation envers des acteurs qu’elle ne cite pas directement mais que tout le monde devine, le tout sans apporter le moindre début de preuve. En moins d’une semaine, cette grossière combine a pu impunément être utilisée sur les ondes d’une radio du service public et au cœur des locaux du premier parti de France. Impressionnant. Surtout quand on sait que Caroline Fourest n’en est pas à son premier coup. A l’été 2011, alors que la presse s’empare de la rumeur sur « l’islamisme » supposé de l’époux de Martine Aubry, le chroniqueur Bruno Roger Petit nous apprenait que l’origine de cette « rumeur » se trouvait dans l’ouvrage de la polémiste publié en 2005, La Tentation obscurantiste[5]. Un essai qui a essuyé la critique acerbe des six universitaires dont le spécialiste de la laïcité Jean Baubérot ou l’islamologue Bruno Etienne qualifiant cet écrit de « pamphlet qui s’érige frauduleusement en argumentaire rationnel, alors qu’il ne repose que sur le trafic des émotions, des peurs. ». Outrés par le fait que ce livre ait obtenu le prix du Livre politique de l’Assemblée nationale, les auteurs concluaient leur tribune publiée par le journal Le Monde que « si tentation obscurantiste il y a, elle est parfaitement incarnée aujourd’hui par la haine viscérale de la connaissance scientifique qui se manifeste depuis quelques années à travers des essais comme celui de Caroline Fourest. »[6]

Mais si Caroline Fourest peut se permettre ces écarts de conduite, c’est qu’elle sait qu’elle peut bénéficier de deux leviers. D’abord, cette habitude qu’elle a prise de s’ériger en procureur du débat public lui permet de distribuer les bons points. Sur ce registre, il ne faut pas être très doué pour déduire qu’elle bénéficie de puissants soutiens qui lui permettent d’inonder la machine médiatique de ses analyses savamment construites. Ensuite, elle joue sur la corde facile du Qatar, assimilé dans l’inconscient collectif comme la nouvelle machine à corruption.

C’est pourtant là que le bât blesse. S’affichant à de nombreuses reprises comme une adversaire résolue du Front national, Caroline Fourest reproduit pourtant les mêmes pratiques que Marine Le Pen. Cette dernière a souvent raillé l’activisme débordant du Qatar jusqu’à en faire un pays qui soudoie toute la classe politique par la force de ses dollars. Ici la rumeur se noie dans l’insulte voire l’outrance notamment avec des expressions accusant la France de « maîtresse des USA, devenue catin d'émirs bedonnants »[7]. Si Caroline Fourest ne va pas jusqu’à insulter notre pays comme la dirigeante frontiste, elle emploie les mêmes prémisses et part du même postulat. Le sujet « Qatar » est ainsi devenu le bouc émissaire facile pour ces deux icônes du champ médiatique français. Sur la base de « rumeurs » l’une agite l’épouvantail d’Etats islamiques prêts à mettre à genou une France qui n’a plus les moyens de sa souveraineté. Tandis que l’autre trouve dans l’émirat le prétexte à des accusations de financements occultes pour discréditer ses adversaires. Signe des temps, ce rapprochement de méthode avec l’extrême-droite trouve sa traduction dans un autre domaine.

L’un des ouvrages de la polémiste, « Frère Tariq », a été traduit aux Etats-Unis par la maison Encounter books[8]. Cet éditeur n’est pas n’importe qui. L’un de ses principaux collaborateurs est David Horowitz[9] connu pour ses positions farouchement néoconservatrices et classé parmi les figures de l’extrême-droite radicale. Il y a quelques semaines, ce dernier n’a pas hésité « à mettre des encarts dans les revues universitaires pour expliquer que « les Américains descendants d’Africains devraient remercier les Européens pour leur esclavage. »[10] Mais Encounter books ne se charge pas que de publier les ouvrages des populistes américains les plus réactionnaires. La maison d’édition donne aussi la parole à ceux qui véhiculent un véritable discours paranoïaque. En 2010, cette édition publiait un ouvrage au titre édifiant « How Obama embraces Islam’s sharia agenda » ou « Comment Obama a embrassé l’agenda de la sharia islamique »[11]. Sur leur site, on croit rêver en lisant que l’ouvrage révèle comment Barack Obama fait insidieusement le jeu de l’islamisme radical en adoptant la Sharia dans la conduite de sa diplomatie, faciliterait le financement du Jihad, et mettrait même en péril la constitution américaine[12]. Il est donc pour le moins curieux de voir Caroline Fourest être traduite par un éditeur qui héberge les principales plumes de l’extrême-droite outre-Atlantique, et dont les idées sont aussi délirantes que dangereuses. L’ironie de l’histoire, c’est que Caroline Fourest qui classe Tariq Ramadan et Marine Le Pen comme « les deux faces de la même crispation identitaire »[13] a vu son pamphlet sur Tariq Ramadan traduit et publié par … l’une des institutions les plus en vue de l’extrême-droite américaine ! On pourrait multiplier ce type de comparaisons troublantes. Ainsi, quelques temps avant cette traduction, Caroline Fourest volait, d’après la journaliste Mona Chollet, au secours de Gregorius Nekschot, « un caricaturiste néerlandais sympathisant de l’extrême-droite »[14]. Il est vrai que ce dernier n’hésitait pas à répandre les clichés odieux qu’on croyait être l’apanage des nostalgiques du pétainisme. Tel ce dessin où l’on voit un « imam habillé en Père Noël et sodomisant une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions. ». Ou encore ce « monument à l’esclavage du contribuable autochtone blanc » : un Néerlandais, chaînes au pied, portant sur son dos un Noir, bras croisés et tétine à la bouche »[15]

On pourrait trouver d’autres points communs entre Caroline Fourest et Marine Le Pen. Notamment, leur propension commune à alimenter le climat islamophobe, l’une pour des raisons électoralistes, l’autre pour des motifs idéologiques. Sur ce créneau, c’est certainement la sénatrice et écrivain antiraciste Esther Benbassa qui résume le mieux l’imposture intellectuelle en déclarant que la polémiste est en réalité « un stratège » qui « s'est placée du côté des islamophobes pour plaire à la fois à la droite et à une partie de la gauche au nom de la laïcité en jouant la Jeanne d'Arc au visage lisse qui va défendre les femmes contre les horribles musulmans »[16]. Derrière les rumeurs et forfaitures de Caroline Fourest, il y a une vérité bien réelle. Celle d’une chouchou des médias qui se vante de combattre le Front national en utilisant de plus en plus et en toute impunité les techniques de ceux qu’elle prétend combattre.



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