François Hollande au Qatar et en Arabie saoudite : les ressorts d'une coopération

mardi, 12 mai 2015 08:16

Holland en arabie saouditeBarack Obama a convoqué à Camp David pour les 12 et 13 mai un sommet des six membres du Conseil de coopération du Golfe pour discuter de la situation dans la région et des négociations sur le nucléaire iranien.

Le roi Salman d’Arabie saoudite, ainsi que la plupart de ses pairs de la péninsule arabique ne seront pas présents, signe de leur mécontentement persistant à l’égard du président américain. Les honneurs exceptionnels faits à François Hollande lors de sa tournée dans le Golfe et les quelques Rafale vendus doivent être interprétés dans ce contexte.

Il y a un an, le Qatar vivait un isolement de la part de ses pairs du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) — à l’exception d’Oman et du Koweït — et voyait son influence, acquise lors des soulèvements populaires du printemps 2011, se résorber dans l’ensemble de la région. En ligne de mire de ce blocus diplomatique, le soutien de l’émirat aux Frères musulmans, le refus de l’émir de reconnaître pleinement le nouveau pouvoir putschiste égyptien  qui avait chassé ceux-ci du Caire le 3 juillet 2013 et l’impertinence de la chaîne Al-Jazira. Plongeant le CCG dans sa plus grave crise depuis sa création en 1981, ce boycott était l’aboutissement d’une ligne de fracture qui couvait depuis l’irruption des révoltes arabes.

Un an plus tard, la situation a sensiblement changé. Tout d’abord, la brouille avec le Qatar a trouvé son épilogue lors d’un sommet de la dernière chance convoqué à la demande du défunt roi Abdallah à l’automne 2014. Alors que Doha avait montré sa disposition à rentrer relativement dans le rang avec des gestes symboliquement forts comme la suppression de la déclinaison égyptienne d’Al-Jazira ou le départ de certaines figures des Frères musulmans, le monarque saoudien voyait l’impératif de solidifier un «  front sunnite  » pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires. La montée en puissance de l’organisation de l’État islamique (OEI) et le renforcement de l’influence iranienne en Irak, en Syrie et au Liban avaient fini par convaincre tous les protagonistes qu’il était dans l’intérêt général de mettre en sourdine les querelles intestines.

 Casser le "crossant chiite"

Dès le mois de janvier 2015, cette nouvelle configuration s’est vue confirmée par trois événements majeurs qui se sont produits quasi simultanément. Fin janvier, Sanaa, la capitale du Yémen tombe aux mains de la milice chiite zaydite des houthis. L’affaiblissement de l’important parti des Frères musulmans yéménites que cet événement entraînait était une donnée positive pour Riyad. Cependant, dans un contexte régional où la polarisation confessionnelle domine tragiquement les représentations, la vision saoudienne d’une quatrième capitale arabe après Bagdad, Damas et Beyrouth tombée sous influence chiite renforçait le sentiment d’un encerclement iranien. Et cela au moment même où Téhéran arrachait un accord sur le dossier du nucléaire ouvrant les perspectives d’un dialogue stratégique futur avec l’administration américaine, dont beaucoup de dirigeants arabes pensent qu’il se fera sur le dos des alliances traditionnelles de Washington. Ces succès militaires et diplomatiques laissent penser dans le Golfe que l’Iran est en train de réémerger comme l’État-pivot du Proche-Orient avec lequel les États-Unis auraient tout intérêt à collaborer activement, comme ils le faisaient avant la révolution iranienne de 1979.

Dans le même temps, la monarchie saoudienne vit une succession qui ne s’arrête pas au changement du roi. De profonds remaniements ont lieu entre les différents princes de la famille royale et, décidé à casser le «  croissant chiite  », le nouveau roi Salman ben Abdelaziz ne tarde pas à afficher la couleur de son nouveau mandat. Fin mars, l’Arabie saoudite prend la tête de l’offensive militaire "Tempête décisive" et enrôle avec elle une grande partie des puissances sunnites.

L'union sacrée face à l'Iran 

Même si les objectifs de cette campagne sont loin d’être atteints sur le terrain et que leur coût humain apparaît terrible, un fait émerge : l’Arabie cherche à reprendre le leadership d’un monde arabe qui doit stopper la marche en avant iranienne. Dans ce nouveau jeu d’alliances, le roi Salman change d’attitude vis-à-vis des Frères musulmans, ainsi que du Qatar et de la Turquie, traditionnellement reconnus comme les parrains de la confrérie. Les visites de l’émir du Qatar et du président turc Recep Tayyip Erdogan se succèdent à Riyad et les déclarations de hauts responsables saoudiens s’attachent à montrer que le souverain saoudien n’a pas l’attitude anti-Frères musulmans de son prédécesseur. Signe des temps, la télévision saoudienne a retransmis le 1er mai 2015 le sermon du vendredi d’Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas à Gaza, qui ne tarissait pas d’éloges sur le nouveau rôle joué par le «  protecteur des deux lieux saints  ».

Ce changement n’a pas été sans troubler le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi qui a effectué une visite express à Riyad pour s’assurer de la pérennité d’une alliance après la fuite malheureuse dans les médias de certains de ses propos sur l’Arabie saoudite qu’il qualifiait de «  pompe à argent  », mais aussi qu’une partie de la presse pro-régime du Caire, sentant l’évolution à l’égard des Frères musulmans, avait commencé à critiquer. À bien des égards, ce dispositif présente tous les avantages pour Riyad : d’un côté, l’Égypte ne peut que lui rester fidèle du fait de sa dépendance financière et de l’autre, le réchauffement des relations avec l’axe Qatar-Turquie-Frères musulmans lui donne une profondeur stratégique supplémentaire indispensable à l’accomplissement de ses ambitions. Néanmoins, il faut souligner que l’union sacrée face à l’Iran ne peut être considérée comme l’expression d’une totale convergence de vues sur les dossiers sensibles de la région. La couverture de l’actualité égyptienne par Al-Jazira, tout comme la survivance de l’antagonisme entre les régimes du Golfe sur le terrain libyen prouvent que Doha n’est pas entièrement rentré dans le rang et maintient une certaine distance à l’égard de son grand voisin.

 Jouer la France contre les Etats-Unis 

C’est dans le cadre de ce retour de Riyad comme puissance motrice régionale qu’il faut resituer le voyage du président français. À Doha et surtout à Riyad, la présence de François Hollande est d’abord le signe évident d’un fort mécontentement des dirigeants du Golfe à l’égard de la posture de Barack Obama sur l’Iran. Obnubilé par l’extension de la sphère d’influence iranienne, les Saoudiens voient le rapprochement américano-iranien comme le pire des scénarios, qui déclasserait la monarchie au rang de puissance régionale secondaire, ce qu’elle était avant 1979.

C’est pour écarter pareille éventualité qu’ils n’ont pas hésité à jouer la carte du prix du pétrole en ne baissant pas leur production malgré la saturation du marché. L’une des hypothèses expliquant la brutale chute du cours est justement cette mesure de rétorsion décrétée par la monarchie. Même si la dégringolade du prix du baril pèse lourdement sur les budgets nationaux, le fait de mettre en danger la manne du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis est vu comme prioritaire. Surtout que ce nivellement par le bas du cours de l’or noir inflige parallèlement à l’Iran et à son allié russe de sévères difficultés financières.

La présence de François Hollande à Riyad est donc destinée à signifier à la Maison-Blanche que sa politique ne satisfait pas les intérêts des pétromonarchies. Cette posture offensive saoudienne est partagée par ses voisins dont la crainte, sinon la méfiance à l’égard de l’Iran est communément partagée, à l’exception du sultanat d’Oman. En accordant au président français l’honneur d’être le premier chef d’État occidental à assister à une réunion au sommet du CCG, le roi Salman fait un pied de nez au président américain et encourage Paris, plus que jamais à la recherche de contrats commerciaux pour tenter de redresser son économie en berne, à continuer à prendre des prises de position favorables à ses intérêts. Membre permanent du Conseil de sécurité, Paris présente en effet le double avantage d’avoir été en pointe sur l’affaire syrienne et la plus intransigeante sur le dossier du nucléaire iranien. Du fait de ces paramètres, la présence de François Hollande est un message clair à destination de l’administration Obama. Mais même si la présence française s’en trouve confortée dans la région, elle est plus que jamais instrumentalisée par les monarchies du CCG qui sont parfaitement conscientes que Paris n’a en aucun cas les capacités militaires pour jouer le rôle de parrain sécuritaire de substitution des États-Unis.

C’est sur ce fond géopolitique qu’il faut replacer le contrat des Rafale au Qatar et le renouveau du projet Rafale aux Émirats arabes unis. Pour le Qatar, qui devait remplacer sa flotte symbolique d’une douzaine de vieux Mirage 2000, il s’agit d’affirmer sa souveraineté militaire mais aussi de «  forcer  » la France à rester un garant complémentaire de la sécurité de ses frontières. Même si l’armée américaine, installée sur le sol qatari avec deux immenses bases, garde sa place de première protectrice, l’achat des Rafale est de nature à doubler le rideau défensif d’un émirat dont le complexe d’infériorité domine les esprits depuis des générations. Signe que cette préoccupation sécuritaire est présente dans l’esprit des dirigeants, le service militaire obligatoire a été instauré pour tous les jeunes nationaux du pays. Nul doute qu’avec un Proche-Orient en ébullition, ce besoin sécuritaire de Doha est appelé à s’étendre géographiquement. De nouveaux contrats pourront demain être signés pour les mêmes raisons avec le Koweït ou les Émirats arabes unis. L’histoire retiendra que c’est un président socialiste qui a bénéficié des vives tensions géopolitiques au Proche-Orient et du mécontentement des monarchies pétrolières à l’endroit des États-Unis.

Analyse initialement publiée sur le site www.orientxxi.com le 12 mai 2015. 

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