Ignorée par l'Arabie Saoudite et les Émirats, Jérusalem est au coeur du sommet du monde islamique convoqué par la Turquie

mercredi, 13 décembre 2017 11:30

312b7f86 c9f9 4d3b b1ac a6189d232de3Le sommet extraordinaire de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), qui s’ouvre aujourd’hui à Istanbul pose une question importante : comment un monde musulman divisé peut-il apporter une réponse forte à l'unilatéralisme américain sur la question de Jérusalem ?

Le sort de Jérusalem (al-Qods en arabe) est au centre des préoccupations du monde musulman. Déjà, en 1969, c'est la tentative d'incendie criminelle de la mosquée al-Aqsa par un extrémiste juif australien qui avait conduit à la fondation de ce qu’on appelait à l'époque l'Organisation de la conférence islamique. Basée à Djeddah en Arabie Saoudite, cette organisation internationale qui possède une délégation permanente aux Nations unies, regroupe les 57 pays musulmans à travers le monde. En plus de la défense de Jérusalem, elle vise à renforcer la solidarité entre ses États membres.

Pendant longtemps, l’institution n’avait qu’un rôle honorifique. Soumise aux rivalités politiques qui clivent le monde musulman, elle a souvent été sous domination saoudienne. Mais depuis la guerre du Golfe de 1990, les choses ont changé et l'état des rapports de force depuis une vingtaine d'années ne semble plus aller dans le sens de la diplomatie de Riyad.

Il n'est d'ailleurs pas anodin que le sommet exceptionnel d'aujourd'hui ait été convoqué par la Turquie et qu'il se tienne à Istanbul et non à La Mecque. Depuis la décision du jeudi 6 décembre de l'administration américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, le monde musulman est en ébullition. Depuis une semaine, les manifestations sont légion et de nombreux rassemblements ont eu lieu devant les ambassades américaines. Timide pour ne pas dire plus, la réaction des gouvernements musulmans a été dénoncée par une grande partie des opinions. L'événement d’aujourd’hui est donc une forme de riposte des États afin de montrer qu’eux aussi restent préoccupés par la préservation du troisième lieu saint de l’islam. Preuve également du caractère transversal de la question palestinienne, des pays non musulmans comme le Venezuela ont tenu à participer en tant qu’observateur au sommet. La semaine dernière déjà, la Bolivie avait demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l'ONU suite à la décision de Washington.

Néanmoins, au sein du monde islamique, deux lignes s'opposent. La première est conduite par la Turquie et l'Iran qui ont tenu des propos durs à l'endroit de l'administration Trump en la mettant en garde contre une décision irresponsable qui ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Suivi par plusieurs Etats musulmans comme la Malaisie, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ou le Qatar, ce duo a pris la tête de la contestation. Multipliant les discours et déclarations fracassantes, Recep Tayyip Erdogan a même menacé de rompre les liens diplomatiques avec Israël. La récente visite de Vladimir Poutine à Ankara au cours de laquelle un important accord militaire a été signé, entre également dans ce cadre. Au Moyen-Orient en effet, un nouvel axe stratégique joignant la Turquie à l'Iran devient de plus en plus une réalité. Soutenu par le Qatar et parrainé par la Russie, ce camp semble avoir le vent en poupe et, tournant le dos à la crise syrienne qui avait profondément clivé la région, il semble aujourd'hui vouloir mettre la question de la Palestine en tête de ses priorités.

A contrario, l'autre front est représenté par l'Arabie Saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis. Ce trio qui a décidé le blocus du Qatar au mois de juin, est également celui qui a tissé les relations les plus fortes ces derniers mois avec Israël. Totalement décomplexés et ayant imposé une véritable chape de plomb à leur opinion en multipliant les arrestations de tous ceux (émirs, ministres ou oulémas) se risquant à une critique de leur politique, les tenants  de cette vision appellent ouvertement à l’établissement d’une nouvelle alliance avec Tel Aviv. Dans leur viseur, “l'expansionnisme iranien” est considéré comme la menace la plus grave qui pèse sur la stabilité du Moyen-Orient. Dans ce contexte, la cause palestinienne n'est plus considérée comme prioritaire, et il appartient aux Etats arabes de s'allier de manière résolue avec l’administration Trump et le gouvernement Netanyahou pour faire pièce à un ennemi commun. Figure de la scène littéraire saoudienne et homme bénéficiant de l’écoute des plus hauts dirigeants du royaume, le romancier saoudien Turki al-Hamad a déclaré à cet effet : « La Palestine n’est plus la cause numéro un des Arabes depuis que les propriétaires de cette cause l’ont vendue ».

Pour mettre en place leur vision, les dirigeants de ces trois pays (auxquels on peut ajouter le Bahreïn qui est devenu de facto un protectorat saoudien) semblent aujourd'hui particulièrement gênés par le sommet d’Istanbul. En témoigne la représentation minime qu'ils ont envoyé à l’évènement. Tandis que Le Caire et Abou Dhabi dépêchaient leurs ministres des Affaires étrangères, Riyad n’envoyait “que” son ministre des Affaires religieuses. Alors que la question de Jérusalem domine tous les esprits et qu'elle reste historiquement la cause fédératrice d'un monde arabe et musulman qui cherche encore son unité, nul doute que cette posture risque encore d'aggraver le déficit de légitimité dont ces trois régimes disposent aujourd'hui dans le monde musulman. Dénoncés par beaucoup d’observateurs comme étant des « sionistes arabes », il y a peu de chance à ce que ce camp n’évolue dans le sens des intérêts palestiniens. Pire, certaines fuites dans la presse israélienne et américaine ont dévoilé que la décision de Trump sur Jérusalem n’aurait pas été prise sans l’aval et le soutien de certains pays arabes comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite. 

Cette tribune a initialement été publiée sur le site de Middle East Eye. 

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